vendredi 27 juin 2008

Loi de modernité / Contraires - complexité




Les scientifiques affirment que ce qui est est, ce qui n’est pas n’est pas ; les philosophes et les littéraires disent « ce n’est pas si simple », et que, comme toute médaille a un revers, il n’ y a donc pas de revers sans médaille ; les uns raisonnent sur l’abstrait absolu : 2 et 2 font 4 ; les autres sur le réel relatif : deux carottes et deux poireaux ça ne fait quatre ni de l’un ni de l’autre ; pour arriver à quatre il faut passer à la catégorie supérieure « légumes », quand c’est possible, car pour deux carottes et deux ânes, ça devient un peu plus compliqué.
Tout ça pour dire que les choses ne sont pas aussi simples que nos brillants économistes semblent le penser (en tout cas le disent), notamment au sujet des retraites, de l’emploi et des salaires, du pouvoir d’achat. D’ailleurs la presse régulièrement sur de tels sujets donne la parole à deux éminents spécialistes qui proposent à notre choix des analyses et des avis diamétralement opposés. Chacun pense que c’est simple ; l’autre pense qu’il se trompe. C’est que la réalité des choses et des hommes est beaucoup plus complexe ; souvent deux affirmations opposées peuvent être simultanément vraies : ce qui est , certes, est, mais ce qui n’est pas est aussi. Prendre la dimension de cette complexité devrait être une exigence déontologique pour nos gouvernants ; ce n’est pourtant pas le cas. On procède par affirmations partisanes présentées comme des évidences, et on néglige à la fois la face cachée des choses et les – toujours probables – effets, dits pervers, d’une décision prise.

Prenons quatre exemples dans les domaines des retraites, de l’emploi, des salaires, du pouvoir d’achat.

Retraites et emploi: on entend le slogan « Travailler plus longtemps pour payer ses retraites » ; ce n’est pas faux ; à la différence des retraites par capitalisation, où chacun pendant sa vie active réunit un capital qu’il utilisera lorsqu’il cessera de travailler, dans un système de retraite par répartition – ce à quoi les Français, non sans raison, sont très attachés - ce sont les actifs qui cotisent pour ceux qui deviennent « inactifs » ; le ratio entre actifs et inactifs est donc la clef de la viabilité du système ; travailler plus longtemps permet donc simultanément de cotiser plus longtemps et de bénéficier moins longtemps de la répartition des cotisations des plus jeunes ; l’équilibre serait à ce prix.
Indépendamment de ce que cette analyse est fondée seulement sur la prise en compte du coût du travail, et ne considère pas la plus value du travail (loi dite de Ricardo ; voir Au jour le jour du 27 juin), les dispositions qui en découlent (repousser plus tard l’âge de la retraite) entraînent aussi des effets négatifs qui en neutralisent la portée.
Je me fonde, pour expliquer ce point de vue, sur un exemple récent : un de mes amis, directeur d’un établissement public en Normandie, m’écrit ceci « La République ayant décidé de se passer de mes services le jour de mes 66 ans … » et il me donne sa nouvelles adresse. Il aurait souhaité rester en poste encore un ou deux ans. Mais que se serait-il passé s’il était resté en activité ? Le poste qu’il a libéré en prenant sa retraite serait resté occupé, et au bout de la chaîne cela aurait fait un emploi disponible en moins.
A chaque fois qu’on allonge la durée d’activité, on diminue le nombre d’emplois disponibles. Ce raisonnement serait sans valeur dans une société qui connaîtrait le plein emploi, mais ce n’est assurément pas le cas.
On ne devrait donc pas traiter séparément âge de la retraite et politique de l’emploi car les deux ne sont pas indépendants l’une de l’autre.

Temps de travail, emploi, pouvoir d’achat : les 35 heures, honnies ! Le raisonnement de ceux qui les ont mises en place pourtant n’était pas faux : dans une économie libérale, ce n’est pas le travail salarié qui crée l’emploi, mais la production de biens et des services ; si pour une production donnée N heures de travail sont nécessaires, alors N divisé par 35 donnera un nombre d’emplois plus élevé que N divisé par 40 ; mais voilà, c’était sans compter sur l’organisation générale fondée sur un volume global de 40 heures hebdomadaires, sur la difficulté (par exemple à l’hôpital) de trouver des gains de productivité, aussi sur l’augmentation globale du coût pour l’employeur (donc diminution de la plus-value), et sur la freinage induit de la progression des salaires. Au bout du compte les 35 heures, vues sous cet angle, ont contribué à la stagnation du pouvoir d’achat (d’autant que les gouvernants socialistes – Rocard je crois – ont fait ce que la droite n’avait pas osé faire : découpler de l’inflation la hausse des salaires) ; et donc à l’actuel malaise social ; et à la grogne populaire ; et à la difficulté à mettre en œuvre quelque réforme que ce soit. On devrait donc, pour chaque mesure envisagée, faire une simulation de tous les effets induits probables.

Heures supplémentaires, emploi : outre que la politique actuelle d’heures supplémentaires non soumises à impôt pour le travailleur et détaxées pour l’employeur, constitue un manque à gagner très net pour les ressources fiscales de la République, une évidence s’impose : 20 ouvriers qui font chacun 2 heures sup par semaine, ça fait bien 40 heures, c'est-à-dire un emploi et plus. Cela revient aussi à offrir plus de travail à ceux qui en ont déjà et à donc à en retirer la perspective à ceux qui n’en ont pas. Pour un employeur c’est plus économique de payer des heures sup dans ces conditions, que d’embaucher ; ainsi voit-on que le chômage des jeunes augmente en France régulièrement. Autre effet, si pour « gagner plus » il faut « travailler plus » cela signifie qu’on ne gagnera pas plus sans travailler plus ; que donc on pourra bloquer les salaires. Or s’il est bien une représentation cardinale dans le « moral des ménages » et ce depuis des décennies, c’est la « progression du pouvoir d’achat » : l’espoir d’une vie plus facile demain.

Inflation, taux d’intérêt, pouvoir d’achat, moral des ménages, santé des entreprises..
Pour lutter contre l’inflation, mandat qui lui a été assigné par l’Europe, la Banque Centrale Européenne envisage d’augmenter ses taux directeurs ; en conséquence, les Banques reverront à la hausse leurs taux de crédit ; elles ont d’ailleurs anticipé ; les ménages qui avaient emprunté à taux variable verront donc leurs mensualités de crédit augmenter (c’est un des motifs de la crise des « subprimes » aux Etats-Unis) ; ceux qui avaient envisagé de contracter un emprunt hésiteront ; l’inflation cependant est là, sans pour autant que les salaires augmentent ; le pouvoir d’achat dans ces conditions diminuera encore et la consommation intérieure baissera. Or, dans notre société dite de consommation, d’une part c’est la capacité de consommer qui forme le ferment du « moral » des ménages, d’autre part c’est la consommation intérieure qui constitue le moteur de la croissance. C’est d’ailleurs le reproche souvent fait à la BCE : privilégier la lutte contre l’inflation, au détriment de la croissance. C’est donc à une analyse intégrant les phénomènes d’inflation, de pouvoir d’achat et de croissance qu’il faudrait procéder.



Ces quelques exemples montrent qu’il n’y a guère de cercle vertueux en matière économique ; toute mesure, même légitimement fondée, entraîne une cohorte d’effets induits, dont certains peuvent être heureux, d’autres pervers. Lorsqu’un gouvernement présente les mesures qu’il va prendre, il a toujours tendance a faire des effets d’annonce et à présenter les choses comme des faits d’évidence ; mais c’est leurrer les citoyens.
On n’ose pas penser que nos ministres n’aient pas la compétence pour envisager les phénomènes économiques dans leur globalité, qu’ils décident à l’inspiration ou au préjugé ; si tel était les cas, nous serions vraiment mal barrés.




dimanche 15 juin 2008

Liberté / égalité

Liberté, égalité : deux concepts abondamment cités dans de nombreux textes de l’époque révolutionnaire (ce n’est qu’en 1848 que le triple principe Liberté / Egalité / Fraternité apparaît dans notre devise nationale). En fait la réalité politique et sociale se joue depuis les débuts de la République entre Liberté et Egalité ; souvent d’ailleurs de façon antagoniste. Mais si la Liberté est assez bien cernée et comprise les citoyens, il n’en va pas de même de l’Egalité, dont un avatar : Egalité des chances (promu par Pétain en 1941) a singulièrement perverti la substance, en instituant l’inégalité comme produit de l’égalité. Condorcet, qui avait largement disserté sur la distinction entre égalité formelle et égalité réelle, avait bien pressenti cette possible récupération du concept par ses propres adversaires.
Aujourd’hui, alors qu’on assiste à une valorisation du libéralisme par la gauche (Delanoë, mais aussi très nettement Manuel Valls), et où on voit la droite associer le terme socialisme à celui qui lui est plus connaturel de libéralisme, la confusion est grande : entre le social-libéralisme des uns et le libéro-socialisme des autres, comment s’y retrouver ?
C’est probablement en faisant appel au concept d’égalité, que l’on peut avoir une appréhension plus claire de la réalité que recouvrent (ou que masquent) les discours politiques.

Le libéralisme, comme doctrine – simplifions – du « laisser faire les hommes / laisser passer les marchandises » des physiocrates au XVIII°, et dont les piliers cardinaux sont la propriété, la liberté individuelle et le marché, a constamment dominé, avec des contre-exemples significatifs dans les pays communistes, à la fois l’économie et la vie sociale jusqu’à nos jours ; les sociétés « administrées », tant sur le plan économique que social, ont abouti – et ce malgré des positions de principe rationnelles et généreuses – au contraire des perspectives annoncées, notamment en termes d’égalité et de liberté. Une société qui postule la primauté à l’égalité ne peut que se réaliser par une négation de la liberté individuelle ; inversement donner la priorité à la liberté aboutit (principe du renard libre dans le poulailler) à favoriser les plus forts ou les mieux-nés (rappelons le dit de Figaro dans le théâtre de Beaumarchais : « Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus »).


Les sociétés démocratiques modernes se réfèrent toutes, formellement du moins, à la fois aux principes de liberté et d’égalité, mais avec des insistances différentes sur l’une ou l’autre de ces valeurs. La suppression des frontières, la mondialisation, la globalisation des échanges économiques, financiers et culturels, constituent aujourd’hui un état de fait que l’on ne peut nier ni contrarier : des pays dits encore « communistes » comme la Chine et Cuba entrent très nettement dans l’économie de marché (le marché appliquant la loi de l’offre et de la demande dans un échange théoriquement non réglementé). C’est dans cet espace, devenu, en raison de son immensité et de sa complexité, pratiquement incontrôlable, que nous vivons. Toutefois une société libérale, fondée sur les trois principes de la liberté, de la propriété et du marché, engendre nécessairement des tensions avec le désir d’égalité. La liberté comme système d’engendrement des différences, aux quelles nous sommes tous attachés, produit à terme des inégalités, les quelles nous semblent insupportables. En revanche les sociétés fondées sur le principe d’égalité engendrent non seulement ce que l’on a pu appeler égalitarisme, mais aussi de nécessaires privations de liberté, et conséquemment d’inégalités ; c’est ce qu’on a vu – et voit encore – avec les systèmes politiques communistes, dont l’historien François Furet a justement dénoncé comme une illusion dans Le passé d’une illusion.

Sommes-nous libres et égaux en France ? Devant la loi, et formellement, oui. Mais on sait que les discours servent aussi bien à exprimer la réalité qu’à la masquer ; le « mensonge » est la qualité essentielle de l’esprit (esprit = mens en latin) ; les hommes politiques ne s’en privent pas, les législateurs non plus.
Mais en réalité ? La liberté – d’opinion, d’expression, de choix de vie, de circulation … assurément ; mais en ce qui concerne l’égalité, évidemment non. Les inégalités, au contraire, se développent au fur et à mesure que s’installe le libéralisme sauvage et débridé, ce capitalisme « qui marche sur la tête » selon le mot du Président, mais que cela n’empêche pas néanmoins de marcher. Inégalités économiques, inégalités devant l’accès à la culture et aux loisirs, inégalités dans les questions d’éducation ou de santé, inégalités dans la considération des autres, dans l’espoir de réussite … Et ces inégalités ont aussi comme conséquence un déficit de liberté : on est moins « libre » avec un salaire de base qu’avec des revenus plus que confortables.

Ces inégalités ont certes un côté incontournable : dans la mesure où nous sommes libres, nous pouvons choisir d’être non seulement différents, mais inégaux ; c’est notre condition humaine. En réalité l’inégalité entraîne des souffrances et devient difficilement supportable lorsqu’elle est vue et vécue d’en bas. Celui qui doit vivre avec moins de 1 000 € par mois supporte mal que d’autres disposent de revenus cent fois supérieurs et donc ne partagent pas de façon « équitable » la richesse produite par le travail ; celui qui dispose pour son usage personnel, de yachts, de jets, et qui peut employer du personnel de maison au SMIC (ou au noir) n’en souffre pas ; c’est même cette inégalité qui est la clef de sa situation avantageuse.

Or la recherche du profit entraîne nécessairement celle de la diminution des coûts liés à son obtention, avec notamment la « pression sur les salaires » des employés, qui deviennent les premières victimes en cas de difficultés ou de défaut de rentabilité des entreprises. Selon Susan George, fondatrice d’ATTAC, « les gains sont privatisés, les pertes en revanche lorsqu’il y en a sont socialisées ».

L’ « Etat providence » qui donne à chacun selon ses besoins, a connu les limites liées à la fois à l’irresponsabilité et au désengagement des nombres de bénéficiaires, et à la disponibilité de ressources à distribuer ; c’est cette constatation qui justifie le « travailler plus » du Président, comme elle fonda, en réaction contre la politique sociale du Front populaire, la devise Travail, famille, patrie de Philippe Pétain. Cependant nombre d’économistes aujourd’hui admettent, comme par exemple Elie Cohen, Directeur de recherches au CNRS, que « il est indispensable que des politiques redistributives soient organisées par souci de justice sociale ».

Si l’on suit ces analyses, on conviendra que, s’il est vrai que le libéralisme économique est la meilleure façon de gérer la production de richesses, car il se fonde sur les qualités d’initiative, d’invention, de travail, des individus, l’exigence d’égalité ne saurait être satisfaite par ce seul moyen. Lorsque on a le sentiment que l’augmentation des richesses tend non vers la diminution des inégalités mais leur accroissement, que les uns vivent dans une opulence ostentatoire et les autres malgré leur engagement dans le travail de production de ressources, se trouvent dans la pauvreté, il se crée un climat peu propice à toute réforme, fût-elle indispensable, des conditions de travail, des « avantages » sociaux, des remboursements de dépenses médicales, de taux d’encadrement à l’Ecole … ; notamment lorsque par ailleurs le prix des matières premières flambe et accroît d’autant le coût de la vie.

De nos jours l’objectif d’égalité semble bien passer au second plan, au profit de celui de liberté, tant dans les perspectives gouvernementales, que dans les prises de position des partis politiques. Pourtant liberté et égalité constituent bien les deux faces, à la fois inséparables et antagonistes, comme le pile et le face d’une pièce de monnaie, d’un projet de société. Et il ne s’agit pas seulement de redistribution des richesses, mais d’équité dans l’attribution du fruit du travail. Des écarts trop importants comme ceux que nous connaissons, ne peuvent être justifiés par aucun argument fondé sur le mérite, sur l’investissement, sur le risque assumé. L’appel que nous entendons répété sans cesse à renoncemer aux « avantages » et aux « acquis » sociaux ne peut pas être entendu tant qu’il n’est pas associé à un appel de même nature envers les gains et profits scandaleux des plus aisés de nos concitoyens.

dimanche 1 juin 2008

Apostasie




Selon Nicolas Machiavel, le pouvoir a besoin de Dieu ; selon Gérôme Savonarole, Dieu a besoin du pouvoir. L’histoire montre clairement que les deux ont également raison : les liens étroits entre le pouvoir et la religion sont constants ; les rois de France étaient sacrés à Reims pour exercer le pouvoir temporel et spirituel ; la Reine d’Angleterre est encore de nos jours le chef de l’église anglicane ; il n’est guère que Stendhal pour mettre en balance dans la vie de Julien Sorel, le rouge (l’armée) et le noir (la religion) ; partout ailleurs le sabre et le goupillon font bon ménage, comme ne manque pas de le montrer Nicolas Sarkosy, à Latran et ailleurs.

Les guerres de religion masquent toujours des intérêts stratégiques, hier comme aujourd’hui. Qui servait l’autre, de Théodose qui imposa au IV° siècle le christianisme comme religion officielle de l’Empire Romain ? ou des chrétiens qui permirent à Constantin de maintenir l’unité de l’Empire ? Et si les chrétiens hier faisaient flotter le pavillon de Saint Louis en Palestine, les enjeux économiques n’étaient pas absents de ce que l’on appela les Croisades ; l’or, autant que le salut des âmes inspirait l’évangélisation des peuplades d’Amérique latine par les Espagnols. De même aujourd’hui les positions agressives des islamistes en Occident ne sont pas exemptes d’ambitions politiques ; les rivalités sanglantes entre Sunnites et Chiites en Irak ne sont que l’instrument d’enjeux de pouvoir ; naguère les luttes fratricides entre protestants et catholiques en Irlande dissimulaient des enjeux de pouvoir entre les Anglais et les Irlandais et ne faisaient que prolonger la guerre d’indépendance dont Michaël Collins, au début du XX° siècle fut le héros.

Les liens, interactions, imbrications entre pouvoir et religion tissent notre histoire et notre civilisation. La France cependant, a su se montrer rebelle à cette confusion des genres où le salut des âmes se trouvait lié au bonheur des peuples
Le régicide de 1793 fut aussi un déicide, dans la mesure où il mit fin au pouvoir politique de droit divin ; le droit des peuples se substitua à celui de Dieu, la « raison » à la religion ; mais comme toujours le fil de l’histoire ne fut pas linéaire ; il fallut encore les lois de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état puis l’inscription de la laïcité au fronton des constitutions de 1946 et 1958.

Avons-nous vraiment tourné la page ? Devons-nous encore être vigilants ? Sommes-nous réellement devenus laïques ? Avons-nous fait le partage entre ce qui relève de Dieu et ce qui relève des hommes ? Rien n’est moins sûr. Pour étayer mes doutes, je me fonderai sur trois exemples récents.

Le premier remonte au 20 décembre 2007 : c’est le discours du Président de la République, devant la curie romaine, dit Discours de Latran ; ce discours se développe autour des valeurs liées aux trois vertus théologales (souvenons-nous de notre catéchisme) que sont la foi, l’espérance et la charité. Sans la foi, il ne saurait y avoir d’espérance, sans espérance (qui nous rassemble) il ne saurait y avoir de charité. Le Président le la République, qui est officiellement Chanoine de Saint Jean de Latran, se présente comme investi d’une responsabilité de fusion (je dirais pour ma part de confusion) du politique, du social et du religieux.
Avec un minimum de commentaires, j’en citerai seulement quelques extraits :

- « Je suis sensible aux prières qu’il [ le Saint Père] a bien voulu offrir pour la France et pour son peuple. »
- « La foi chrétienne pénètre la société française »
- « Les racines de la France sont chrétiennes » (répété plusieurs fois ; ceci relève plus de la croyance que de l’exactitude ; la chrétienté nous a légué des faits culturels empruntés par l’église à des approches souvent païennes ou barbares de la civilisation, telles par exemple que les fêtes des solstices : Noël, la Saint Jean ; les rogations ; telles aussi que la communion (sacrifices humains) ; cette tradition est entrée en concurrence ou en symbiose avec d’autres manifestations héritées des Celtes, des Gaulois, des Barbares. La notion d’âme quant à elle trouve ses sources dans la philosophie platonicienne ; les grands mythes de la Bible ont leur image – ou leur source, car antérieurs – dans la civilisation mésopotamienne au 3° millénaire avant Jésus-Christ. (le Déluge, par exemple)
Il est tout aussi faux de nier l’apport du christianisme dans notre culture, qu’il est inexact d’affirmer que les racines de la France ne sont que chrétiennes : elles plongent bien en deçà du christianisme.
« L’espérance est une des qualités les plus importantes de notre temps. » ( repris d’une Encyclique de Benoît XVI)
« L’intérêt de la République est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. » (Ce n’est pas forcément l’intérêt de tous les Français, car l’espérance nous indique que nous vivons dans une vallée de larmes et que le bonheur est dans l’autre monde : « Bienheureux les pauvres car ils verront Dieu » ; accepter notre sort (sans revendications bien sûr) apporte un espoir de vie éternelle ; on ne va pas troquer une éternité de béatitude contre une misérable augmentation du SMIC)
Et puis la phrase que l’on surtout retenue dans les milieux laïques :
« Dans la distinction entre le bien et le mal, l’instituteur ne remplacera jamais le curé »

Serait-ce donc la fin d’une morale laïque ? Heureusement, le Président, nous montre qu’il ne va pas tous les jours consulter le curé pour sa vie privée. Et nous avons déjà présenté l’hypothèse que dans ses relations avec la religion, il était plus Machiavel que Savonarole. La question du financement des cultes n’est d’ailleurs toujours pas tranchée ; à droite comme à gauche on considère souvent que la laïcité consiste à ne favoriser aucune religion et à les financer toutes ; avec notamment cet argument à double tranchant qu’on peut mieux contrôler l’Islam en le finançant qu’en en laissant le privilège à l’Arabie Saoudite ; mais la République peut-elle tolérer d’élever un et même plusieurs serpents en son sein ?

Le deuxième relève d’un décision de justice du 1er avril 2008, prononcée par le tribunal de Lille et qui concerne l’annulation du mariage unissant un ingénieur français converti à l’islam et une étudiante française de confession musulmane.
Rappelons les faits : le mariage avait été célébré le 8 juillet 2006 ; lors de la nuit de noces, l’époux découvre que sa femme n’est pas vierge, alors quelle aurait prétendu le contraire ; on ne connaît pas la suite de cette nuit, mais on sait que le lendemain le mari se présente chez son avocat afin que celui-ci demande l’annulation du mariage. En effet, selon l’Islam (avis juridique du Conseil européen de la fatwa) le mariage ne peut être considéré comme valide que « si le fornicateur et la fornicatrice se repentent devant Dieu en abandonnant l’illicite pour le licite ». Ici le problème était que le fornicateur n’était pas l’époux (il l’aurait su) et que donc le licite ne pouvait pas intervenir entre les deux conjoints.
Le tribunal s’est prononcé pour la dissolution (on aurait tendance à écrire « s’est donc prononcé pour la dissolution ») en vertu de l’article 180 du Code civil concernant la nullité des mariages, lequel précise que l’un des époux peut demander l’annulation du contrat « s’il y a eu erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne. »

Tels sont les faits. Ils ont été portés à la connaissance du public à la fin du mois de mai 2008, soit à peu de chose près, deux mois après. Il faudra probablement s’interroger sur ce délai, s’agissant non d’un fait divers, mais d’une affaire majeure au plan du droit.

Les médias ont d’ailleurs d’abord présenté cette information dans sa réalité brute (une annulation de mariage en application d’un article du Code civil) et il a fallu attendre que l’opinion s’en empare pour que cela devienne réellement un débat relayé par les journaux, les radios, les télévisions.

Ce débat présente d’ailleurs des aspects discordants et, surtout, une forme majeure d’évitement.
Certes, le médiateur de la République a jugé que l’annulation du mariage pour faute de virginité était " contraire à la laïcité "; les parlementaires (tous partis politiques confondus) ont dénoncé le mépris pour la femme, pour sa liberté ; mais le Garde des sceaux, Rachida Dati a de son côté justifié le jugement en prétendant qu’il préservait précisément le droit des femmes, il faudrait qu’on nous explique vraiment en quoi ! Elisabeth Badinter quant à elle, pense que ce jugement va « faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l’hymen » (elles seraient donc conduites à un double mensonge ; attention si le mari s’en aperçoit !).

Cependant, selon nous, le vrai problème n’est pas dans le respect ou non de la liberté des femmes (même si c’est un aspect important des choses) mais dans le fait qu’il s’agit d’une intrusion de la Charia (la loi musulmane) dans le Code civil. Car c’est bien en fonction de cette loi que le mari a porté plainte, et que l’on a interprèté ainsi le Code civil. Il n’existait aucune jurisprudence allant dans ce sens.
Pour les musulmans la loi de Dieu l’emporte sur celle des hommes ; c’est ce que le jugement de Lille applique, en dépit de toute tradition républicaine.

Il semble donc primordial que le parquet ordonne une enquête (comme cela a été déjà fait pour Outreau en particulier) sur les conditions dans lesquelles la justice a procédé pour parvenir à cette infraction de la loi républicaine.
Cette affaire ne manque pas d’inquiéter, car elle pourrait se reproduire. Ce n’est pas tant le jugement lui-même qu’il faut annuler, que les procédures qui ont permis de le prononcer.

Le troisième est un exemple a contrario, il s’agit du développement en Espagne des cas de reniement de la religion catholique ; c’est ce qu’on appelle l’apostasie ; le plus célèbres des apostats fut Julien (dit Julien l’Apostat), empereur romain du IV° siècle, élevé dans le christianisme, mais qui l’abjura et tenta de rétablir l’ancien polythéisme.
Selon une enquête de Sandrine Morel (le Nouvel Observateur du 29 au 4 juin ), des centaines de baptisés tentent de renier la religion, non de façon passive (par exemple en étant « croyant non-pratiquant)) mais de manière active en demandant à être rayés du registre des paroissiens. Il s’agit donc de renier le baptême, qui est le premier sacrement par lequel on entre dans la communauté des chrétiens.
Les premiers de ces « apostats » sont des personnes âgées, victimes du franquisme, dont les deux piliers, selon eux, étaient la Guardia civil et les prêtres ; puis viennent des plus jeunes, motivés par des convictions politiques, et qui considèrent que en Espagne la religion ne relève pas seulement d’un choix personnel, mais qu’elle s’immisce dans la vie politique du pays.
Or l’Eglise espagnole, qui est considérée comme l’un des bastions du conservatisme social rétrograde (campagnes contre l’avortement, le divorce, la contraception ; pour le maintien de l’enseignement religieux dans les horaires scolaires ; diabolisation du gouvernement socialiste de Zapatero) , siège spirituel, en outre, de l’Opus Dei (organisme de l’extrémisme catholique), met toutes les entraves à cette procédure.
Les cas d’apostasie qu’elle est obligée bon gré malgré de reconnaître témoignent bien en réalité du lien traditionnel, que l’on veut préserver, entre le politique et le religieux et de la mainmise du pouvoir catholique sur les principaux aspects de la vie sociale. En ce sens le cas de l’Espagne éclaire nettement la signification qui s’attache à la phrase de Nicolas Sarkozy : « Dans la distinction entre le bien et le mal, l’instituteur ne remplacera jamais le curé ».
Pourquoi ces cas d’apostasie en Espagne ? Parce que l’Eglise y reste plus radicale qu’ailleurs. En France, où a été prononcée la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les choses sont moins nettes et se disent avec plus de prudence, et finalement c’est l’Eglise elle-même qui est en situation d’apostasie ; deux exemples seulement :
- Le Credo, on le sait, est l’acte de foi fondamental et incontournable des catholiques ; il comporte des affirmations dogmatiques auxquelles personne aujourd’hui ne peut ajouter foi : « Je crois en un seul dieu, créateur du ciel et de la terre, père tout puissant, visible et invisible de tous […] Je crois à la résurrection des corps …» ; l’église se contente de mettre une sourdine sur ces paroles fondatrices de la foi.
- Le baptême est le premier sacrement ; symboliquement, par l’immersion dans l’eau ou l’aspersion d’eau bénite, il lave le catéchumène de la faute de nos origines, celle que commit Adam en forniquant avec Eve, et qui nous est transmise de génération en génération, puisque sauf pour Jésus issu d’une vierge, nos parents commirent l’acte de chair. Or dans les cérémonies de baptême aujourd’hui on néglige l’aspect « laver du péché » pour insister sur le choix de l’entrée dans le monde des chrétiens, ce qui, par parenthèse, ne laisse guère de place au libre arbitre du baptisé, sauf lorsqu’il s’agit d’un adulte.

Apostasie frontale, apostasie déguisée, ce mouvement prend de fait, malgré les conversions spectaculaires et médiatisées de quelques uns, un véritable essor de nos jours.

On s’étonnera donc que ce soit, en France, le Président de la République, garant de la laïcité, qui vienne au secours de la religion.


Faut-il réellement craindre les religions ?
Dans la mesure où elles restent dans la sphère de nos intimités ; où elles permettent de donner des réponses à nos questions existentielles ou essentielles, faisons comme Pascal, disons qu’on ne risque rien à croire, faisons le pari qu’on ne peut qu’y gagner ; si Dieu n’existe pas personne ne nous en voudra d’y croire, en revanche s’il existe, craignons sa vengeance si nous l’avons effrontément ignoré : « Ecce gladium Domini super terram, cito et velociter » répétait Savonarole (Voici le glaive du Seigneur sur la terre, prompt et rapide).

Mais dès lors que la religion investit le politique et sert de fondement aux règles de la vie sociale, de façon manifeste ou insidieuse, alors le citoyen est en droit de se rebeller. « Rendons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » ; cette phrase est de Jésus-Christ lui-même. Et craignons qu’une religion, sous prétexte d’œcuménisme, ne vienne justifier l’autre, et que l’ordre d’un dieu ou d’un prophète ne vienne régler un jour nos vies.

Je voudrais être apostat.