dimanche 1 juin 2008

Apostasie




Selon Nicolas Machiavel, le pouvoir a besoin de Dieu ; selon Gérôme Savonarole, Dieu a besoin du pouvoir. L’histoire montre clairement que les deux ont également raison : les liens étroits entre le pouvoir et la religion sont constants ; les rois de France étaient sacrés à Reims pour exercer le pouvoir temporel et spirituel ; la Reine d’Angleterre est encore de nos jours le chef de l’église anglicane ; il n’est guère que Stendhal pour mettre en balance dans la vie de Julien Sorel, le rouge (l’armée) et le noir (la religion) ; partout ailleurs le sabre et le goupillon font bon ménage, comme ne manque pas de le montrer Nicolas Sarkosy, à Latran et ailleurs.

Les guerres de religion masquent toujours des intérêts stratégiques, hier comme aujourd’hui. Qui servait l’autre, de Théodose qui imposa au IV° siècle le christianisme comme religion officielle de l’Empire Romain ? ou des chrétiens qui permirent à Constantin de maintenir l’unité de l’Empire ? Et si les chrétiens hier faisaient flotter le pavillon de Saint Louis en Palestine, les enjeux économiques n’étaient pas absents de ce que l’on appela les Croisades ; l’or, autant que le salut des âmes inspirait l’évangélisation des peuplades d’Amérique latine par les Espagnols. De même aujourd’hui les positions agressives des islamistes en Occident ne sont pas exemptes d’ambitions politiques ; les rivalités sanglantes entre Sunnites et Chiites en Irak ne sont que l’instrument d’enjeux de pouvoir ; naguère les luttes fratricides entre protestants et catholiques en Irlande dissimulaient des enjeux de pouvoir entre les Anglais et les Irlandais et ne faisaient que prolonger la guerre d’indépendance dont Michaël Collins, au début du XX° siècle fut le héros.

Les liens, interactions, imbrications entre pouvoir et religion tissent notre histoire et notre civilisation. La France cependant, a su se montrer rebelle à cette confusion des genres où le salut des âmes se trouvait lié au bonheur des peuples
Le régicide de 1793 fut aussi un déicide, dans la mesure où il mit fin au pouvoir politique de droit divin ; le droit des peuples se substitua à celui de Dieu, la « raison » à la religion ; mais comme toujours le fil de l’histoire ne fut pas linéaire ; il fallut encore les lois de 1905 sur la séparation de l’église et de l’état puis l’inscription de la laïcité au fronton des constitutions de 1946 et 1958.

Avons-nous vraiment tourné la page ? Devons-nous encore être vigilants ? Sommes-nous réellement devenus laïques ? Avons-nous fait le partage entre ce qui relève de Dieu et ce qui relève des hommes ? Rien n’est moins sûr. Pour étayer mes doutes, je me fonderai sur trois exemples récents.

Le premier remonte au 20 décembre 2007 : c’est le discours du Président de la République, devant la curie romaine, dit Discours de Latran ; ce discours se développe autour des valeurs liées aux trois vertus théologales (souvenons-nous de notre catéchisme) que sont la foi, l’espérance et la charité. Sans la foi, il ne saurait y avoir d’espérance, sans espérance (qui nous rassemble) il ne saurait y avoir de charité. Le Président le la République, qui est officiellement Chanoine de Saint Jean de Latran, se présente comme investi d’une responsabilité de fusion (je dirais pour ma part de confusion) du politique, du social et du religieux.
Avec un minimum de commentaires, j’en citerai seulement quelques extraits :

- « Je suis sensible aux prières qu’il [ le Saint Père] a bien voulu offrir pour la France et pour son peuple. »
- « La foi chrétienne pénètre la société française »
- « Les racines de la France sont chrétiennes » (répété plusieurs fois ; ceci relève plus de la croyance que de l’exactitude ; la chrétienté nous a légué des faits culturels empruntés par l’église à des approches souvent païennes ou barbares de la civilisation, telles par exemple que les fêtes des solstices : Noël, la Saint Jean ; les rogations ; telles aussi que la communion (sacrifices humains) ; cette tradition est entrée en concurrence ou en symbiose avec d’autres manifestations héritées des Celtes, des Gaulois, des Barbares. La notion d’âme quant à elle trouve ses sources dans la philosophie platonicienne ; les grands mythes de la Bible ont leur image – ou leur source, car antérieurs – dans la civilisation mésopotamienne au 3° millénaire avant Jésus-Christ. (le Déluge, par exemple)
Il est tout aussi faux de nier l’apport du christianisme dans notre culture, qu’il est inexact d’affirmer que les racines de la France ne sont que chrétiennes : elles plongent bien en deçà du christianisme.
« L’espérance est une des qualités les plus importantes de notre temps. » ( repris d’une Encyclique de Benoît XVI)
« L’intérêt de la République est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. » (Ce n’est pas forcément l’intérêt de tous les Français, car l’espérance nous indique que nous vivons dans une vallée de larmes et que le bonheur est dans l’autre monde : « Bienheureux les pauvres car ils verront Dieu » ; accepter notre sort (sans revendications bien sûr) apporte un espoir de vie éternelle ; on ne va pas troquer une éternité de béatitude contre une misérable augmentation du SMIC)
Et puis la phrase que l’on surtout retenue dans les milieux laïques :
« Dans la distinction entre le bien et le mal, l’instituteur ne remplacera jamais le curé »

Serait-ce donc la fin d’une morale laïque ? Heureusement, le Président, nous montre qu’il ne va pas tous les jours consulter le curé pour sa vie privée. Et nous avons déjà présenté l’hypothèse que dans ses relations avec la religion, il était plus Machiavel que Savonarole. La question du financement des cultes n’est d’ailleurs toujours pas tranchée ; à droite comme à gauche on considère souvent que la laïcité consiste à ne favoriser aucune religion et à les financer toutes ; avec notamment cet argument à double tranchant qu’on peut mieux contrôler l’Islam en le finançant qu’en en laissant le privilège à l’Arabie Saoudite ; mais la République peut-elle tolérer d’élever un et même plusieurs serpents en son sein ?

Le deuxième relève d’un décision de justice du 1er avril 2008, prononcée par le tribunal de Lille et qui concerne l’annulation du mariage unissant un ingénieur français converti à l’islam et une étudiante française de confession musulmane.
Rappelons les faits : le mariage avait été célébré le 8 juillet 2006 ; lors de la nuit de noces, l’époux découvre que sa femme n’est pas vierge, alors quelle aurait prétendu le contraire ; on ne connaît pas la suite de cette nuit, mais on sait que le lendemain le mari se présente chez son avocat afin que celui-ci demande l’annulation du mariage. En effet, selon l’Islam (avis juridique du Conseil européen de la fatwa) le mariage ne peut être considéré comme valide que « si le fornicateur et la fornicatrice se repentent devant Dieu en abandonnant l’illicite pour le licite ». Ici le problème était que le fornicateur n’était pas l’époux (il l’aurait su) et que donc le licite ne pouvait pas intervenir entre les deux conjoints.
Le tribunal s’est prononcé pour la dissolution (on aurait tendance à écrire « s’est donc prononcé pour la dissolution ») en vertu de l’article 180 du Code civil concernant la nullité des mariages, lequel précise que l’un des époux peut demander l’annulation du contrat « s’il y a eu erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne. »

Tels sont les faits. Ils ont été portés à la connaissance du public à la fin du mois de mai 2008, soit à peu de chose près, deux mois après. Il faudra probablement s’interroger sur ce délai, s’agissant non d’un fait divers, mais d’une affaire majeure au plan du droit.

Les médias ont d’ailleurs d’abord présenté cette information dans sa réalité brute (une annulation de mariage en application d’un article du Code civil) et il a fallu attendre que l’opinion s’en empare pour que cela devienne réellement un débat relayé par les journaux, les radios, les télévisions.

Ce débat présente d’ailleurs des aspects discordants et, surtout, une forme majeure d’évitement.
Certes, le médiateur de la République a jugé que l’annulation du mariage pour faute de virginité était " contraire à la laïcité "; les parlementaires (tous partis politiques confondus) ont dénoncé le mépris pour la femme, pour sa liberté ; mais le Garde des sceaux, Rachida Dati a de son côté justifié le jugement en prétendant qu’il préservait précisément le droit des femmes, il faudrait qu’on nous explique vraiment en quoi ! Elisabeth Badinter quant à elle, pense que ce jugement va « faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l’hymen » (elles seraient donc conduites à un double mensonge ; attention si le mari s’en aperçoit !).

Cependant, selon nous, le vrai problème n’est pas dans le respect ou non de la liberté des femmes (même si c’est un aspect important des choses) mais dans le fait qu’il s’agit d’une intrusion de la Charia (la loi musulmane) dans le Code civil. Car c’est bien en fonction de cette loi que le mari a porté plainte, et que l’on a interprèté ainsi le Code civil. Il n’existait aucune jurisprudence allant dans ce sens.
Pour les musulmans la loi de Dieu l’emporte sur celle des hommes ; c’est ce que le jugement de Lille applique, en dépit de toute tradition républicaine.

Il semble donc primordial que le parquet ordonne une enquête (comme cela a été déjà fait pour Outreau en particulier) sur les conditions dans lesquelles la justice a procédé pour parvenir à cette infraction de la loi républicaine.
Cette affaire ne manque pas d’inquiéter, car elle pourrait se reproduire. Ce n’est pas tant le jugement lui-même qu’il faut annuler, que les procédures qui ont permis de le prononcer.

Le troisième est un exemple a contrario, il s’agit du développement en Espagne des cas de reniement de la religion catholique ; c’est ce qu’on appelle l’apostasie ; le plus célèbres des apostats fut Julien (dit Julien l’Apostat), empereur romain du IV° siècle, élevé dans le christianisme, mais qui l’abjura et tenta de rétablir l’ancien polythéisme.
Selon une enquête de Sandrine Morel (le Nouvel Observateur du 29 au 4 juin ), des centaines de baptisés tentent de renier la religion, non de façon passive (par exemple en étant « croyant non-pratiquant)) mais de manière active en demandant à être rayés du registre des paroissiens. Il s’agit donc de renier le baptême, qui est le premier sacrement par lequel on entre dans la communauté des chrétiens.
Les premiers de ces « apostats » sont des personnes âgées, victimes du franquisme, dont les deux piliers, selon eux, étaient la Guardia civil et les prêtres ; puis viennent des plus jeunes, motivés par des convictions politiques, et qui considèrent que en Espagne la religion ne relève pas seulement d’un choix personnel, mais qu’elle s’immisce dans la vie politique du pays.
Or l’Eglise espagnole, qui est considérée comme l’un des bastions du conservatisme social rétrograde (campagnes contre l’avortement, le divorce, la contraception ; pour le maintien de l’enseignement religieux dans les horaires scolaires ; diabolisation du gouvernement socialiste de Zapatero) , siège spirituel, en outre, de l’Opus Dei (organisme de l’extrémisme catholique), met toutes les entraves à cette procédure.
Les cas d’apostasie qu’elle est obligée bon gré malgré de reconnaître témoignent bien en réalité du lien traditionnel, que l’on veut préserver, entre le politique et le religieux et de la mainmise du pouvoir catholique sur les principaux aspects de la vie sociale. En ce sens le cas de l’Espagne éclaire nettement la signification qui s’attache à la phrase de Nicolas Sarkozy : « Dans la distinction entre le bien et le mal, l’instituteur ne remplacera jamais le curé ».
Pourquoi ces cas d’apostasie en Espagne ? Parce que l’Eglise y reste plus radicale qu’ailleurs. En France, où a été prononcée la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les choses sont moins nettes et se disent avec plus de prudence, et finalement c’est l’Eglise elle-même qui est en situation d’apostasie ; deux exemples seulement :
- Le Credo, on le sait, est l’acte de foi fondamental et incontournable des catholiques ; il comporte des affirmations dogmatiques auxquelles personne aujourd’hui ne peut ajouter foi : « Je crois en un seul dieu, créateur du ciel et de la terre, père tout puissant, visible et invisible de tous […] Je crois à la résurrection des corps …» ; l’église se contente de mettre une sourdine sur ces paroles fondatrices de la foi.
- Le baptême est le premier sacrement ; symboliquement, par l’immersion dans l’eau ou l’aspersion d’eau bénite, il lave le catéchumène de la faute de nos origines, celle que commit Adam en forniquant avec Eve, et qui nous est transmise de génération en génération, puisque sauf pour Jésus issu d’une vierge, nos parents commirent l’acte de chair. Or dans les cérémonies de baptême aujourd’hui on néglige l’aspect « laver du péché » pour insister sur le choix de l’entrée dans le monde des chrétiens, ce qui, par parenthèse, ne laisse guère de place au libre arbitre du baptisé, sauf lorsqu’il s’agit d’un adulte.

Apostasie frontale, apostasie déguisée, ce mouvement prend de fait, malgré les conversions spectaculaires et médiatisées de quelques uns, un véritable essor de nos jours.

On s’étonnera donc que ce soit, en France, le Président de la République, garant de la laïcité, qui vienne au secours de la religion.


Faut-il réellement craindre les religions ?
Dans la mesure où elles restent dans la sphère de nos intimités ; où elles permettent de donner des réponses à nos questions existentielles ou essentielles, faisons comme Pascal, disons qu’on ne risque rien à croire, faisons le pari qu’on ne peut qu’y gagner ; si Dieu n’existe pas personne ne nous en voudra d’y croire, en revanche s’il existe, craignons sa vengeance si nous l’avons effrontément ignoré : « Ecce gladium Domini super terram, cito et velociter » répétait Savonarole (Voici le glaive du Seigneur sur la terre, prompt et rapide).

Mais dès lors que la religion investit le politique et sert de fondement aux règles de la vie sociale, de façon manifeste ou insidieuse, alors le citoyen est en droit de se rebeller. « Rendons à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » ; cette phrase est de Jésus-Christ lui-même. Et craignons qu’une religion, sous prétexte d’œcuménisme, ne vienne justifier l’autre, et que l’ordre d’un dieu ou d’un prophète ne vienne régler un jour nos vies.

Je voudrais être apostat.

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