Liberté, égalité : deux concepts abondamment cités dans de nombreux textes de l’époque révolutionnaire (ce n’est qu’en 1848 que le triple principe Liberté / Egalité / Fraternité apparaît dans notre devise nationale). En fait la réalité politique et sociale se joue depuis les débuts de la République entre Liberté et Egalité ; souvent d’ailleurs de façon antagoniste. Mais si la Liberté est assez bien cernée et comprise les citoyens, il n’en va pas de même de l’Egalité, dont un avatar : Egalité des chances (promu par Pétain en 1941) a singulièrement perverti la substance, en instituant l’inégalité comme produit de l’égalité. Condorcet, qui avait largement disserté sur la distinction entre égalité formelle et égalité réelle, avait bien pressenti cette possible récupération du concept par ses propres adversaires.
Aujourd’hui, alors qu’on assiste à une valorisation du libéralisme par la gauche (Delanoë, mais aussi très nettement Manuel Valls), et où on voit la droite associer le terme socialisme à celui qui lui est plus connaturel de libéralisme, la confusion est grande : entre le social-libéralisme des uns et le libéro-socialisme des autres, comment s’y retrouver ?
C’est probablement en faisant appel au concept d’égalité, que l’on peut avoir une appréhension plus claire de la réalité que recouvrent (ou que masquent) les discours politiques.
Le libéralisme, comme doctrine – simplifions – du « laisser faire les hommes / laisser passer les marchandises » des physiocrates au XVIII°, et dont les piliers cardinaux sont la propriété, la liberté individuelle et le marché, a constamment dominé, avec des contre-exemples significatifs dans les pays communistes, à la fois l’économie et la vie sociale jusqu’à nos jours ; les sociétés « administrées », tant sur le plan économique que social, ont abouti – et ce malgré des positions de principe rationnelles et généreuses – au contraire des perspectives annoncées, notamment en termes d’égalité et de liberté. Une société qui postule la primauté à l’égalité ne peut que se réaliser par une négation de la liberté individuelle ; inversement donner la priorité à la liberté aboutit (principe du renard libre dans le poulailler) à favoriser les plus forts ou les mieux-nés (rappelons le dit de Figaro dans le théâtre de Beaumarchais : « Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus »).
Les sociétés démocratiques modernes se réfèrent toutes, formellement du moins, à la fois aux principes de liberté et d’égalité, mais avec des insistances différentes sur l’une ou l’autre de ces valeurs. La suppression des frontières, la mondialisation, la globalisation des échanges économiques, financiers et culturels, constituent aujourd’hui un état de fait que l’on ne peut nier ni contrarier : des pays dits encore « communistes » comme la Chine et Cuba entrent très nettement dans l’économie de marché (le marché appliquant la loi de l’offre et de la demande dans un échange théoriquement non réglementé). C’est dans cet espace, devenu, en raison de son immensité et de sa complexité, pratiquement incontrôlable, que nous vivons. Toutefois une société libérale, fondée sur les trois principes de la liberté, de la propriété et du marché, engendre nécessairement des tensions avec le désir d’égalité. La liberté comme système d’engendrement des différences, aux quelles nous sommes tous attachés, produit à terme des inégalités, les quelles nous semblent insupportables. En revanche les sociétés fondées sur le principe d’égalité engendrent non seulement ce que l’on a pu appeler égalitarisme, mais aussi de nécessaires privations de liberté, et conséquemment d’inégalités ; c’est ce qu’on a vu – et voit encore – avec les systèmes politiques communistes, dont l’historien François Furet a justement dénoncé comme une illusion dans Le passé d’une illusion.
Sommes-nous libres et égaux en France ? Devant la loi, et formellement, oui. Mais on sait que les discours servent aussi bien à exprimer la réalité qu’à la masquer ; le « mensonge » est la qualité essentielle de l’esprit (esprit = mens en latin) ; les hommes politiques ne s’en privent pas, les législateurs non plus.
Mais en réalité ? La liberté – d’opinion, d’expression, de choix de vie, de circulation … assurément ; mais en ce qui concerne l’égalité, évidemment non. Les inégalités, au contraire, se développent au fur et à mesure que s’installe le libéralisme sauvage et débridé, ce capitalisme « qui marche sur la tête » selon le mot du Président, mais que cela n’empêche pas néanmoins de marcher. Inégalités économiques, inégalités devant l’accès à la culture et aux loisirs, inégalités dans les questions d’éducation ou de santé, inégalités dans la considération des autres, dans l’espoir de réussite … Et ces inégalités ont aussi comme conséquence un déficit de liberté : on est moins « libre » avec un salaire de base qu’avec des revenus plus que confortables.
Ces inégalités ont certes un côté incontournable : dans la mesure où nous sommes libres, nous pouvons choisir d’être non seulement différents, mais inégaux ; c’est notre condition humaine. En réalité l’inégalité entraîne des souffrances et devient difficilement supportable lorsqu’elle est vue et vécue d’en bas. Celui qui doit vivre avec moins de 1 000 € par mois supporte mal que d’autres disposent de revenus cent fois supérieurs et donc ne partagent pas de façon « équitable » la richesse produite par le travail ; celui qui dispose pour son usage personnel, de yachts, de jets, et qui peut employer du personnel de maison au SMIC (ou au noir) n’en souffre pas ; c’est même cette inégalité qui est la clef de sa situation avantageuse.
Or la recherche du profit entraîne nécessairement celle de la diminution des coûts liés à son obtention, avec notamment la « pression sur les salaires » des employés, qui deviennent les premières victimes en cas de difficultés ou de défaut de rentabilité des entreprises. Selon Susan George, fondatrice d’ATTAC, « les gains sont privatisés, les pertes en revanche lorsqu’il y en a sont socialisées ».
L’ « Etat providence » qui donne à chacun selon ses besoins, a connu les limites liées à la fois à l’irresponsabilité et au désengagement des nombres de bénéficiaires, et à la disponibilité de ressources à distribuer ; c’est cette constatation qui justifie le « travailler plus » du Président, comme elle fonda, en réaction contre la politique sociale du Front populaire, la devise Travail, famille, patrie de Philippe Pétain. Cependant nombre d’économistes aujourd’hui admettent, comme par exemple Elie Cohen, Directeur de recherches au CNRS, que « il est indispensable que des politiques redistributives soient organisées par souci de justice sociale ».
Si l’on suit ces analyses, on conviendra que, s’il est vrai que le libéralisme économique est la meilleure façon de gérer la production de richesses, car il se fonde sur les qualités d’initiative, d’invention, de travail, des individus, l’exigence d’égalité ne saurait être satisfaite par ce seul moyen. Lorsque on a le sentiment que l’augmentation des richesses tend non vers la diminution des inégalités mais leur accroissement, que les uns vivent dans une opulence ostentatoire et les autres malgré leur engagement dans le travail de production de ressources, se trouvent dans la pauvreté, il se crée un climat peu propice à toute réforme, fût-elle indispensable, des conditions de travail, des « avantages » sociaux, des remboursements de dépenses médicales, de taux d’encadrement à l’Ecole … ; notamment lorsque par ailleurs le prix des matières premières flambe et accroît d’autant le coût de la vie.
De nos jours l’objectif d’égalité semble bien passer au second plan, au profit de celui de liberté, tant dans les perspectives gouvernementales, que dans les prises de position des partis politiques. Pourtant liberté et égalité constituent bien les deux faces, à la fois inséparables et antagonistes, comme le pile et le face d’une pièce de monnaie, d’un projet de société. Et il ne s’agit pas seulement de redistribution des richesses, mais d’équité dans l’attribution du fruit du travail. Des écarts trop importants comme ceux que nous connaissons, ne peuvent être justifiés par aucun argument fondé sur le mérite, sur l’investissement, sur le risque assumé. L’appel que nous entendons répété sans cesse à renoncemer aux « avantages » et aux « acquis » sociaux ne peut pas être entendu tant qu’il n’est pas associé à un appel de même nature envers les gains et profits scandaleux des plus aisés de nos concitoyens.
Aujourd’hui, alors qu’on assiste à une valorisation du libéralisme par la gauche (Delanoë, mais aussi très nettement Manuel Valls), et où on voit la droite associer le terme socialisme à celui qui lui est plus connaturel de libéralisme, la confusion est grande : entre le social-libéralisme des uns et le libéro-socialisme des autres, comment s’y retrouver ?
C’est probablement en faisant appel au concept d’égalité, que l’on peut avoir une appréhension plus claire de la réalité que recouvrent (ou que masquent) les discours politiques.
Le libéralisme, comme doctrine – simplifions – du « laisser faire les hommes / laisser passer les marchandises » des physiocrates au XVIII°, et dont les piliers cardinaux sont la propriété, la liberté individuelle et le marché, a constamment dominé, avec des contre-exemples significatifs dans les pays communistes, à la fois l’économie et la vie sociale jusqu’à nos jours ; les sociétés « administrées », tant sur le plan économique que social, ont abouti – et ce malgré des positions de principe rationnelles et généreuses – au contraire des perspectives annoncées, notamment en termes d’égalité et de liberté. Une société qui postule la primauté à l’égalité ne peut que se réaliser par une négation de la liberté individuelle ; inversement donner la priorité à la liberté aboutit (principe du renard libre dans le poulailler) à favoriser les plus forts ou les mieux-nés (rappelons le dit de Figaro dans le théâtre de Beaumarchais : « Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus »).
Les sociétés démocratiques modernes se réfèrent toutes, formellement du moins, à la fois aux principes de liberté et d’égalité, mais avec des insistances différentes sur l’une ou l’autre de ces valeurs. La suppression des frontières, la mondialisation, la globalisation des échanges économiques, financiers et culturels, constituent aujourd’hui un état de fait que l’on ne peut nier ni contrarier : des pays dits encore « communistes » comme la Chine et Cuba entrent très nettement dans l’économie de marché (le marché appliquant la loi de l’offre et de la demande dans un échange théoriquement non réglementé). C’est dans cet espace, devenu, en raison de son immensité et de sa complexité, pratiquement incontrôlable, que nous vivons. Toutefois une société libérale, fondée sur les trois principes de la liberté, de la propriété et du marché, engendre nécessairement des tensions avec le désir d’égalité. La liberté comme système d’engendrement des différences, aux quelles nous sommes tous attachés, produit à terme des inégalités, les quelles nous semblent insupportables. En revanche les sociétés fondées sur le principe d’égalité engendrent non seulement ce que l’on a pu appeler égalitarisme, mais aussi de nécessaires privations de liberté, et conséquemment d’inégalités ; c’est ce qu’on a vu – et voit encore – avec les systèmes politiques communistes, dont l’historien François Furet a justement dénoncé comme une illusion dans Le passé d’une illusion.
Sommes-nous libres et égaux en France ? Devant la loi, et formellement, oui. Mais on sait que les discours servent aussi bien à exprimer la réalité qu’à la masquer ; le « mensonge » est la qualité essentielle de l’esprit (esprit = mens en latin) ; les hommes politiques ne s’en privent pas, les législateurs non plus.
Mais en réalité ? La liberté – d’opinion, d’expression, de choix de vie, de circulation … assurément ; mais en ce qui concerne l’égalité, évidemment non. Les inégalités, au contraire, se développent au fur et à mesure que s’installe le libéralisme sauvage et débridé, ce capitalisme « qui marche sur la tête » selon le mot du Président, mais que cela n’empêche pas néanmoins de marcher. Inégalités économiques, inégalités devant l’accès à la culture et aux loisirs, inégalités dans les questions d’éducation ou de santé, inégalités dans la considération des autres, dans l’espoir de réussite … Et ces inégalités ont aussi comme conséquence un déficit de liberté : on est moins « libre » avec un salaire de base qu’avec des revenus plus que confortables.
Ces inégalités ont certes un côté incontournable : dans la mesure où nous sommes libres, nous pouvons choisir d’être non seulement différents, mais inégaux ; c’est notre condition humaine. En réalité l’inégalité entraîne des souffrances et devient difficilement supportable lorsqu’elle est vue et vécue d’en bas. Celui qui doit vivre avec moins de 1 000 € par mois supporte mal que d’autres disposent de revenus cent fois supérieurs et donc ne partagent pas de façon « équitable » la richesse produite par le travail ; celui qui dispose pour son usage personnel, de yachts, de jets, et qui peut employer du personnel de maison au SMIC (ou au noir) n’en souffre pas ; c’est même cette inégalité qui est la clef de sa situation avantageuse.
Or la recherche du profit entraîne nécessairement celle de la diminution des coûts liés à son obtention, avec notamment la « pression sur les salaires » des employés, qui deviennent les premières victimes en cas de difficultés ou de défaut de rentabilité des entreprises. Selon Susan George, fondatrice d’ATTAC, « les gains sont privatisés, les pertes en revanche lorsqu’il y en a sont socialisées ».
L’ « Etat providence » qui donne à chacun selon ses besoins, a connu les limites liées à la fois à l’irresponsabilité et au désengagement des nombres de bénéficiaires, et à la disponibilité de ressources à distribuer ; c’est cette constatation qui justifie le « travailler plus » du Président, comme elle fonda, en réaction contre la politique sociale du Front populaire, la devise Travail, famille, patrie de Philippe Pétain. Cependant nombre d’économistes aujourd’hui admettent, comme par exemple Elie Cohen, Directeur de recherches au CNRS, que « il est indispensable que des politiques redistributives soient organisées par souci de justice sociale ».
Si l’on suit ces analyses, on conviendra que, s’il est vrai que le libéralisme économique est la meilleure façon de gérer la production de richesses, car il se fonde sur les qualités d’initiative, d’invention, de travail, des individus, l’exigence d’égalité ne saurait être satisfaite par ce seul moyen. Lorsque on a le sentiment que l’augmentation des richesses tend non vers la diminution des inégalités mais leur accroissement, que les uns vivent dans une opulence ostentatoire et les autres malgré leur engagement dans le travail de production de ressources, se trouvent dans la pauvreté, il se crée un climat peu propice à toute réforme, fût-elle indispensable, des conditions de travail, des « avantages » sociaux, des remboursements de dépenses médicales, de taux d’encadrement à l’Ecole … ; notamment lorsque par ailleurs le prix des matières premières flambe et accroît d’autant le coût de la vie.
De nos jours l’objectif d’égalité semble bien passer au second plan, au profit de celui de liberté, tant dans les perspectives gouvernementales, que dans les prises de position des partis politiques. Pourtant liberté et égalité constituent bien les deux faces, à la fois inséparables et antagonistes, comme le pile et le face d’une pièce de monnaie, d’un projet de société. Et il ne s’agit pas seulement de redistribution des richesses, mais d’équité dans l’attribution du fruit du travail. Des écarts trop importants comme ceux que nous connaissons, ne peuvent être justifiés par aucun argument fondé sur le mérite, sur l’investissement, sur le risque assumé. L’appel que nous entendons répété sans cesse à renoncemer aux « avantages » et aux « acquis » sociaux ne peut pas être entendu tant qu’il n’est pas associé à un appel de même nature envers les gains et profits scandaleux des plus aisés de nos concitoyens.
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