dimanche 17 août 2008

La formation des enseignants - 3

Quels contenus pour la formation des enseignants ?

« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage … » ; « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » ; l’aphorisme de Nicolas Boileau, comme la sagesse populaire laisseraient penser que c’est en enseignant qu’on devient enseignant, que le métier, en somme s’apprend sur le tas, qu’il suffit de manifester envers les élèves ces qualités élémentaires que sont l’attention, la clarté dans l’exposé, la rigueur dans l’évaluation ; qualités élémentaires que nulle formation ne saurait promouvoir ni développer, mais qu’une bonne connaissance de la matière enseignée déjà contient en soi.
Une preuve en serait que de jeunes étudiants, ou des parents, vierges de toute formation professionnelle, réussissent fort bien dans des cours particuliers ou des séances d’aides aux devoirs ; que des enseignants sachent aider efficacement des élèves qui ne réussissent guère lorsqu’ils sont dans leurs classes.

Cette position est peu réaliste pour une série de raisons, dont les premières sont liées au fait que parmi les tâches que doit accomplir l’enseignant, l’essentiel se déroule dans un contexte institutionnel donné, avec des programmes fixés par un ministre, devant des groupes d’élèves hétérogènes (c’est la mixité sociale), des objectifs en termes de connaissances, de méthodes de travail, de réussite (les fameux 80% , ou plus, au niveau du bac), dans un espace défini et avec un emploi du temps contraint. Mais les raisons les plus importantes relèvent des caractéristiques propres au statut d’élève, qui concerne chacun d’entre eux et non seulement une fraction ; chacun dans contexte collectif ; chacun dans son « droit » à la réussite, quels que soient ses « aptitudes » initiales, son environnement socio-culturel, ses démarches de travail personnelles.


La connaissance de l’institution.
Le ministère de l’éducation nationale, avec plus d’un million d’employés et près de 15 millions d’élèves ou d’étudiants, est gigantesque ; son organisation, à la fois par son histoire (en gros elle date de Napoléon), et par l’étendue sur laquelle elle s’exerce, est gérée par une réglementation à la croissance exponentielle (le RLR – Recueil des Lois et Règlements- occupe près de deux mètres linéaires de textes sur une étagère). Ce que l’on appelle aussi parfois le Code de l’éducation (Consultable sur legifrance.gouv.fr) traduit la complexité de la législation et de la réglementation : lois, décrets, arrêtés, circulaires, notes, s’empilent, se modifient, se développent en applications, de telle façon qu’il faudrait plusieurs années d’étude pour en apprendre l'entière substance.
Hors de question bien sûr d’en faire dans sa totalité, matière de formation ; au moins convient-il que les enseignants connaissent son existence, et les grands principes qui le sous tendent : objectifs de l’éducation (ils sont beaucoup plus complexes que la simple « transmission des connaissances »), organisation administrative, déconcentration (pouvoirs conférés par le ministre à certains niveaux de la hiérarchie) et décentralisation (pouvoir décisionnel conféré aux collectivités territoriales), les mécanismes de décision et de régulation, l’organisation interne des établissements, les statuts et carrières des personnels.
On n’imagine guère, dans quelque branche professionnelle que ce soit, que des cadres (car il n’y a pratiquement que des cadres dans l’E.N.) ignorent le fonctionnement du service dans lequel ils exercent, l’organisation et la hiérarchie dans l’entreprise.
Les enseignants sont aujourd’hui confrontés à des situations où ces connaissances sont indispensables, notamment par leur participation au « projet d’établissement », à l’orientation des élèves, aux relations avec les parents et l’environnement économique et culturel, aux instances administratives.
Un premier volet de la formation concerne donc l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.

Les objectifs assignés à l’entreprise.
Ils sont notoirement différents de ceux que chacun a pu connaître lorsqu’il était lui-même élève. La première différence tient au basculement qui a eu lieu à la fin des années 50 avec la prolongation de la scolarité obligatoire, et qui a été poursuivi par les différentes réformes successves. Ce basculement concerne la distinction Sélection / Promotion. La finalité traditionnelle des établissements, du primaire au supérieur, était naguère de sélectionner les élites dont la nation « a besoin ». Un professeur pouvait alors se contenter de proposer dans son enseignement des « ponts aux ânes » sur lesquels ne passaient que les plus rapides et les meilleurs. L’Ecole constatait, valorisait et légitimait un état de nature : les bons élèves, destinés à devenir les cadres de la nation.
Notre système éducatif s’est depuis plusieurs décennies, fixé des objectifs centrés sur l’idée de « Promotion de tous », malgré la parenthèse chevenementielle de l’ " élitisme républicain".
Or, la promotion de tous est certainement la chose la plus difficile à concevoir, autrement que comme une utopie L’idée de l’égalité réelle (déjà prônée par Condorcet) se heurte à mille raisons de bon sens ; et seule une formation et une réflexion à la fois historique, sociologique et philosophique peut permettre d’en saisir à la fois les racines, la portée et la nécessité.
C’est ce qu’on pourrait appeler une éthique professionnelle.

La connaissance du métier d’élève.
On la vu, l’élève n’est ni une table rase, ni une machine, mais une personne qui met en œuvre son intelligence avec ses capacités cérébrales et tout son être.
On peut certes avoir une connaissance intuitive du fonctionnement de l’intelligence : mémoire et oubli / motivations et refus / compréhension et erreurs / stratégies d‘apprentissage / procédures d’anticipation / processus de communication / réactions spécifiques aux groupes etc., etc.
Cependant le développement récent des sciences cognitives (sciences relatives aux activités de connaissance), des neuro-sciences (connaissance du fonctionnement cérébral), de la psychologie personnelle et sociale, de la communication et de l’interprétation des signes et des textes (sémiologie), notamment, nous a apporté une approhe et une maîtrise meiux assurée des activités d’apprentissage, incluant à la fois le comprendre, l’apprendre, le mémoriser, ainsi que des variantes entre individus et dans un groupe.
La connaissance des travaux scientifiques dans ces différents domaines permet d’appréhender le métier d’élève de façon plus rationnelle et donc donne à l’enseignant les moyens d’aider les apprenants à apprendre.

La connaissance du métier d’enseignant
Cela semble une évidence, au point qu’on est tenté de le négliger. Or il y a bien une « technicité » de ce métier. Qu’il s’agisse du découpage, des progressions et de la présentation des contenus, de la conduite de la classe et de l’autorité, de l’évaluation et de la notation, de la pédagogie différenciée et de l’aide personnalisée, de la gestion des groupes, ainsi que des conflits, de la communication interpersonnelle ou collective, du conseil en orientation, de l’utilisation des nouvelles technologies, de la gestion des sanctions éventuelles, de la prise en compte des représentations (connaissances, pseudo-connaissances, erreurs, convictions …) des élèves, des relations avec les parents … nous sommes dans un domaine où les phénomènes ont fait l’objet d’études et d’analyses, à la fois théoriques et procédurales, qui constituent en quelque sorte le « bréviaire » de tout enseignant.


Les savoir faire et les pratiques
C’est à la gestion de la classe qu’on reconnaîtra le bon professionnel. Il ne suffit pas d’avoir des connaissances sur le métier ; il faut surtout savoir les mettre en œuvre. Dans ce domaine les nombreuses expériences en matière de formation ont mis en lumière la primauté de ce que l’on appelle « l’analyse des pratiques » ; en d’autres termes, être capable d’observer, d’apprécier les façons de faire, de manière à pouvoir réguler ses activités.
Cette attitude n’est pas spontanée, et elle n’est pas naïve ; elle doit être instrumentée par des critères, aussi objectifs que possible, d’observation et de description. D’abord expérimentée dans le monde anglo-saxon, notamment au Québec, sous l’appellation "Utilisation du savoir faire d’expérience dans la formation des enseignants" elle constitue l’épine dorsale sur laquelle viendront se greffer tous les savoir-faire, dans la période de formation initiale, puis de la formation continue.
Dans un domaine qui ne relève ni des sciences ni des procédures exactes, aucune approche, aucune méthode n’est rigoureusement transposable, car les groupes d’élèves ne sont jamais identiques.
Le savoir faire de l’enseignant repose sur un stock de références méthodologiques puis sur une capacité d’ajustement. Ajuster implique que l’on sache d’abord décrire ce que l’on fait (on ne peut pas enseigner autrement si on ne sait pas comment on enseigne), puis réguler ses pratiques ; c’est ici que les savoirs théoriques dont nous avons parlé, associés à un « savoir d’expérience » interviennent.

Connaissance de l’institution et du cadre d’exercice, connaissance des conditions dans lesquelles se déroulent les apprentissages (métier d’élève), éléments d’éthique professionnelle, principes qui interviennent dans l’acte d’enseigner (métier d’enseignant), capacité à analyser les (ses) pratiques et à valoriser l’expérience : la matière à formation ne manque pas ; ce n’est pas « sur le tas » qu’on peut l’apprendre ; c’est peut-être ce que peuvent maîtriser certains professeurs dits « chevronnés » ; mais on a besoin aujourd’hui de professeurs performants, dès le début de leur vie professionnelle.




Prochaine livraison : La formation des enseignants, quand, où, comment ?

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