dimanche 17 août 2008

UPM / Processus de Barcelone


Texte proposé par André Berruer, à la suite de nos différentes mentions, dans la rubrique Au jour le jour, sur l'Union Pour la Méditerranée (UPM).

André Berruer travaille en éducation et formation professionnelle depuis 38 ans dans divers pays d’Afrique –notamment du pourtour méditerranéen- et d’Amérique latine, pour le compte d’organismes bi et multilatéraux d’aide au développement
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Le Président français, qui est aussi au cours de ces six mois, président de l’Union européenne, a organisé à Paris, le 13 juillet 2008, une réunion pour créer l’Union pour la Méditerranée (UPM) avec les hauts responsables de 43 pays, mais aussi les représentants d’organismes multilatéraux : Nations unies (le Secrétaire général), Union européenne, (Président de la Commission, Secrétaire général du Conseil de l’U.E., Président du Parlement européen) ; Conseil européen de coopération des Etats arabes du Golfe ; Ligue des Etats arabes ; Union africaine ; Union du Maghreb arabe ; Organisation de la Conférence islamique.

Les aspects culturels n’ont pas été oubliés : l’Alliance des civilisations ; la Fondation euro méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures. Enfin des banques bien sûr en vue de financer des actions: la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement.

Les médias français ont largement rendu compte de cette entreprise qui réunissait, autour du Président de l’Union européenne –mais aussi notre Président- autant de hauts dignitaires et responsables. Nicolas Sarkozy avait eu l’idée de s’intéresser à l’espace méditerranéen et de créer cette union de tous les pays du pourtour méditerranéen, dans un grand élan de fraternité, sous le regard bienveillant des autres Etats européens.

Les comptes-rendus médiatiques de l’Hexagone ont mis en relief la nouveauté de l’initiative. Mais pas de référence à Pirenne (1862 – 1935) (historien belge qui, dans un article paru dans la Revue belge de philologie et d’histoire intitulé « Mahomet et Charlemagne » (1922) a mis en évidence la complémentarité entre le monde germanique « barbare » et le monde méditerranéen ainsi que le rôle d’unité politique, économique et culturelle du pourtour méditerranéen. Le commerce de l’Empire romain, fondé sur une structure de cités, était centré sur la Méditerranée. Il a conclu : « Sans l’Islam l’Empire franc n’aurait sans doute jamais existé et Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable » ), non plus qu’à Braudel (1902 – 1985) (à travers sa thèse intitulée : « La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II » il a introduit une nouvelle conception de l’histoire : « l’histoire lente » qui prend en compte les aspects économiques, sociaux, culturels, contrairement à l’histoire évènementielle. Il est le chef de file d’une nouvelle génération d’historiens qui s’exprime dans « Les Annales » ) non plus qu’au Processus de Barcelone ; c’était une information à usage exclusif des Français.

La création de cette UPM a fait l’objet d’une Déclaration de dix pages (au format pdf) avec une courte annexe, que l’ensemble des participants a approuvée. Il fallait donc que le discours change, que le contenu et la forme puissent être acceptés par des pays aussi divers que la Libye et Israël (par exemple) donc que l’on gomme toute aspérité susceptible d’effaroucher le nationalisme des uns et des autres. C’est ce qui fut fait.

Au long de ces dix pages, le Processus de Barcelone est cité 34 fois (plus une fois dans l’annexe). Ce texte éclaire la méthode générale de l’UPM : s’appuyer sur ce qui existe déjà :
« L’Union pour la Méditerranée s'appuiera sur l'acquis du processus de Barcelone, dont il renforcera les réalisations et les éléments fructueux. La déclaration de Barcelone, ses objectifs et les domaines de coopération qu'elle prévoit restent d'actualité et les trois chapitres sur lesquels porte la coopération (dialogue politique, coopération économique et libre- échange, et dialogue humain, social et culturel) demeureront au centre des relations euro méditerranéennes » (§11 de la Déclaration).

Des objectifs très généraux sont mentionnés : « une Union pour la Méditerranée imprime un nouvel élan au processus de Barcelone d'au moins trois façons très importantes: - en rehaussant le niveau politique des relations de l'UE avec ses partenaires méditerranéens; - en prévoyant un meilleur partage de la responsabilité de nos relations multilatérales; et - en rendant ces relations plus concrètes et plus visibles grâce à des projets régionaux et sous-régionaux supplémentaires, utiles pour les citoyens de la région » (§ 14). Reste à traduire cela dans les faits…

Les actions les plus diverses sont envisagées : « Il est nécessaire d'étendre la coopération dans des domaines tels que le développement des entreprises, le commerce, l'environnement, l'énergie, la gestion de l'eau, l'agriculture, la sécurité des aliments, la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, les transports, les questions maritimes, l'enseignement, la formation professionnelle, les sciences et les technologies, la culture, les médias, la justice et le droit, la sécurité, la migration, la santé, le renforcement du rôle des femmes dans la société, la protection civile, le tourisme, l'urbanisme, les ports, la coopération décentralisée, la société de l'information et les pôles de compétitivité…… Il est primordial de concrétiser les objectifs fixés dans la déclaration de Barcelone de 1995 et dans le programme de travail de 2005 et de les traduire en projets régionaux majeurs » (annexe). Cette « shopping list » qui n’inclut tout de même pas la pêche (on n’allait pas s’étriper sur le thon…) affiche donc comme ambition de faire ce que EuroMed (traduction opérationnelle du Processus de Barcelone qui a donné lieu à la Déclaration de Barcelone) ne fait pas ou pas assez vite, ou mal, aux yeux du Président français et des participants.


EuroMed
(Informations glanées sur le site EuroMed et sur le site du ministère français des Affaires étrangères).

Créé lors de la Conférence de Barcelone des 27-28 novembre 1995, le partenariat euro méditerranéen, dit Processus de Barcelone, regroupe les 25 Etats membres de l’Union européenne et 10 Etats du Sud et de l’Est de la Méditerranée : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Liban, Syrie et Turquie.
La Libye est observatrice aux conférences où la Mauritanie, candidate à devenir membre du partenariat, est traditionnellement invitée.

Les Conférences ministérielles ont lieu tous les deux ans, leur suivi est assuré par des réunions ministérielles à mi-parcours, le plus souvent chaque année (ces réunions sectorielles dans des villes différentes des Etats-membres concernent : le commerce, l’industrie, l’environnement, l’eau, l’information et la communication, l’énergie, l’agriculture, la culture, la santé, l’éducation, les finances), et des réunions trimestrielles de hauts fonctionnaires.

Lors de la Conférence des Ministres des Affaires étrangères à Luxembourg (mai 2005), des conclusions consensuelles ont pu être adoptées, proposant comme domaines prioritaires pour l’avenir : les droits de l’homme et la démocratie, la croissance économique durable et l’éducation.

Le partenariat comporte trois volets : politique ; économique et financier ; culturel, social et humain.
Le partenariat est la seule enceinte qui réunit depuis 13 ans l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée, Israël compris. Le processus a été créé comme un projet commun, un véritable partenariat entre l’UE et les pays du sud de la Méditerranée. Un climat de confiance et de dialogue s’est progressivement instauré entre Arabes, Européens, Israéliens et Turcs et a bénéficié à la présence extérieure de l’Union européenne.


LES ACQUIS DU PROCESSUS
Treize ans après son lancement, le bilan du Processus de Barcelone est globalement positif, même si les objectifs de la Déclaration de Barcelone ne sont pas encore intégralement mis en application.

1. Les résultats sur le volet économique et financier sont les plus importants.
En perspective de la création d’une zone de libre-échange en 2010, des accords d’association ont été conclus avec neuf pays (Algérie, Autorité palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie) et une union douanière avec la Turquie.

Les accords d’association ont permis de développer les échanges entre l’UE et les pays méditerranéens, contribuant de manière significative au développement de ces derniers. Les exportations des pays méditerranéens vers l’UE ont progressé à un rythme moyen de 7,2% par an depuis 1990 contre 4,2% dans le reste du monde. Les accords d’association ont également permis d’homogénéiser les législations dans les domaines des règles de concurrence, des mouvements de capitaux et de renforcer la coopération économique dans des secteurs essentiels comme l’énergie, tout comme ils ont permis, à l’échelle macro-économique d’améliorer les chiffres du déficit public, de la dette extérieure et des taux d’inflation des pays méditerranéens.

Les contacts entre entreprises ont été facilités et se sont multipliés, notamment grâce à la constitution l’ASCAME, (Association des chambres de commerce et d’industrie de la Méditerranée). Les programmes de coopération entre PME ont permis de mettre en contact 6500 PME des pays méditerranéens avec des homologues de l’UE.

Les efforts en vue d’une plus grande intégration régionale ont connu un progrès significatif avec la signature de l’accord d’Agadir (février 2004) prévoyant la mise en place d’une zone de libre échange entre le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte.

La Politique européenne de voisinage (PEV) vise, depuis 2003, à permettre un rapprochement plus ciblé de l’UE avec les pays situés à ses frontières. Des plans d’action ont été négociés avec la Jordanie, la Tunisie, le Maroc, l’Autorité palestinienne et Israël. Ces plans d’action contiennent un calendrier de réformes à court, moyen et long terme, et des indicateurs de résultats. Ils ont été approuvés en février 2005. De nouveaux plans d’action sont en préparation avec l’Egypte et le Liban.

La Commission poursuit ses efforts en vue de la réalisation de la zone de libre-échange entre l’UE et ses partenaires euro-méditerranéens. Suite aux conclusions de la conférence ministérielle de Luxembourg (mai 2005), la Commission a présenté des projets de mandats de négociation pour la libéralisation des services et du droit d’établissement et pour la libéralisation des produits agricoles et produits transformés de l’agriculture et de la pêche.

Les accords d’association entre l’Europe d’une part le Maroc et la Tunisie d’autre part, prévoient une réduction progressive des droits de douanes jusqu’à 2012

Ces actions sont appuyées par deux instruments d’aide : la coopération est financée par les crédits du programme MEDA :
- 3,4 milliards d’euros pour MEDA I (1995-1999)
- 5,35 milliards d’euros pour MEDA II (2000- 2006).
Si le ratio entre paiements réalisés et crédits engagés n’était que de 29% en 1995, il est passé à 81% fin 2003.

85% des fonds sous MEDA II ont été affectés à des actions bilatérales avec des pays méditerranéens et 15% à des actions régionales. Ces fonds ont permis d’accorder des aides destinées aux politiques d’ajustement structurel et sectoriel. L’Algérie a obtenu à ce titre 195 millions d’euros, le Maroc 252 millions d’euros et l’Autorité palestinienne 336.3 millions d’euros.
Les prêts accordés à la Méditerranée par la Banque européenne d’investissement (7,4 milliards).

Ces prêts ont été augmentés grâce à la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP), lancée en octobre 2002. Cette dernière dispose de trois instruments d’appui au secteur privé :
- l’enveloppe spéciale pour les opérations à risque du secteur privé ;
- le fonds fiduciaire, doté à l’origine de 40 M€ et qui finance les secteurs prioritaires de l’eau ou de l’électricité ;
- le fonds de soutien pour l’assistance technique de la FEMIP qui prépare et met en œuvre des investissements privés.
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Le Conseil Ecofin de novembre 2003 a décidé de renforcer cette facilité et de créer une filiale EuroMed de la BEI.

Ces prêts ont financé des projets tels Steg Gaz en Tunisie (55 millions), le port de Tartous en Syrie (50 millions), la centrale électrique de Nubariya en Egypte (150 millions).


2. Le volet politique, bien que tributaire des difficultés liées au processus de paix au Proche-Orient, a permis d’instaurer progressivement un climat de confiance réciproque.
Les réunions des ministres des Affaires étrangères ont rendu possible l’existence de contacts réguliers au plus haut niveau entre Arabes, Européens, Israéliens et Turcs.
Un dialogue a été instauré au niveau des experts sur certains sujets sensibles : situation au Proche-Orient, terrorisme et droits de l’homme notamment. Le soutien à l’Autorité palestinienne et au processus de paix (1,5 M € sur fonds MEDA) a encouragé la coopération régionale entre Israéliens et Arabes dans des domaines comme l’éducation ou l’environnement.

Depuis 2003, un dialogue régulier en matière de sécurité et de défense a été lancé avec pour objectif de développer la coopération avec les partenaires du Sud dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises et de favoriser, sur la base du volontariat, leur participation à des opérations et exercices civils et militaires.

3. Le volet culturel, social et humain se développe peu à peu.
Dans le domaine de l’éducation, des facilités budgétaires ont contribué à l’amélioration du système éducatif au Maroc, en Jordanie, Egypte et Tunisie.
Un forum EuroMed des syndicats a également été créé pour former les acteurs sociaux en matière de droits sociaux.
Depuis 1995, sept forums civils euro-méditerranéens ont eu lieu. Plusieurs centaines de représentants de la société civile issus des trente-cinq Etats membres ont tenu une Assemblée constitutive à Luxembourg, le 1er avril 2005. Cette réunion, appuyée et financée par la Présidence et la Commission, a permis l’adoption d’une Charte de principes et de valeurs ainsi que de statuts qui ont débouché sur la création d’une plate-forme euro-méditerranéenne non-gouvernementale, dont le siège est en France. Cette plate-forme a pour objectif de permettre un dialogue approfondi entre les gouvernements et la société civile pour faire progresser le partenariat EuroMed.

EuroMed Heritage participe de la préservation et du développement du patrimoine culturel ; EuroMed Jeunesse appuie l’établissement d’une plate-forme d’associations jeunesse (EuroMed Jeunesse III pour le dialogue, la citoyenneté et la démocratie) ; EuroMed audiovisuel promeut la coopération dans le secteur audiovisuel ; le programme Tempus facilite les échanges au niveau de l’enseignement supérieur.

La Conférence de Naples (décembre 2003) a lancé le projet de Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures, qui a été inaugurée en avril 2005 et dont le siège est situé à Alexandrie (Egypte). Elle a pour tâche essentielle, en s’appuyant sur des réseaux nationaux, de développer les échanges entre les sociétés civiles et favoriser le dialogue des cultures et civilisations. Le réseau français est piloté par la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme de l’Université d’Aix-en-Provence.

L’assemblée parlementaire euro méditerranéenne, créée en décembre 2003 lors de la Conférence EuroMed de Naples, regroupe 120 parlementaires méditerranéens et 120 européens. Elle a un pouvoir consultatif et de recommandation (trois commissions sont constituées : affaires politiques, sécurité et droits de l’homme ; affaires économiques et financières ; affaires sociales et éducation).


Une conclusion possible
La coopération entre l’Europe et les pays du pourtour méditerranéen est une réalité. De nombreux projets bilatéraux fonctionnent actuellement, quelques projets régionaux et sous-régionaux aussi ; nous n’avons cité que quelques activités ; ce survol n’est pas exhaustif. Les pays se prennent en main. Depuis quelques années la Commission européenne n’élabore plus de projets avec ses partenaires du Sud mais donne un appui budgétaire dans des domaines ciblés, les responsables nationaux établissent des indicateurs qui sont conjointement suivis et ajustés.
Certes les actions régionales et sous-régionales sont encore timides à cause des situations politiques et de guerre, mais elles progressent. Les actions bilatérales, à terme, servent le régional.

Les lenteurs de la mise en œuvre d’actions spécifiquement régionales sont constatées dans tous les organismes régionaux ; l’UMA (Union du Maghreb arabe) est un exemple parmi d’autres.

Compte tenu de ce qui précède on voit mal quel apport spécifique fera l’UPM qui, néanmoins, veut disposer d’un financement propre (de qui, sinon des financiers de EuroMed qui n’ont aucune raison de ne pas poursuivre leur tâche au sein de cette structure plus que décennale ?) et une structure propre : « Les chefs d'État ou de gouvernement décident de mettre en place de nouvelles structures institutionnelles qui contribueront à la réalisation des objectifs politiques de cette initiative, qui consistent notamment à renforcer le partage des responsabilités, rehausser le niveau politique des relations euro méditerranéennes et mettre le processus en évidence grâce à des projets ». (§ 23) qui double complètement celle de EuroMed. On prévoit une « co-présidence » avec un représentant de l’Europe et un du pourtour méditerranéen (§ 21) ; un « secrétariat conjoint » (§ 24) ; un « comité permanent conjoint » (§ 26).

Toutes les actions répertoriées dans l’annexe à la Déclaration de l’UPM sont prises en compte par EuroMed ( En plus du catalogue ci-dessus mentionné, la Déclaration insiste sur six activités : « dépollution de la Méditerranée », « autoroutes de la mer et autoroutes terrestres », « protection civile », « énergie de substitution – plan solaire méditerranéen », « enseignement supérieur et recherche – université euro méditerranéenne », « initiative européenne de développement des entreprises ». Autant de thèmes qui, comme les autres cités, sont pris en compte par EuroMed).

S’il faut améliorer le fonctionnement de cette structure déjà lourde, la dynamiser, est-ce en créant une autre institution qui, par nature, sera inutile ?

La seule utilité visible de cette grande manifestation est la publicité pour son initiateur. Il s’agit plus d’un show « people » et médiatique que d’une initiative réfléchie et sérieuse. La déclaration finale, très générale, catalogue d’incontestables bonnes intentions et de bons sentiments, illustre son inutilité. (En complément à cette brève approche, on lira avec profit « Adresse au président de la République, Nicolas Sarkozy » par Béatrice Patrie (Présidente de la Délégation pour les pays du Machrek au Parlement européen et Emmanuel Español (historien) – Actes Sud, collection « Sindbad », Arles 2008).
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