mardi 20 mai 2008

D'une grève à l'autre

Ce mois de mai connaît à la fois un taux de mouvements sociaux élevé, et des polémiques concernant l’interprétation du droit de grève, au regard notamment de la « continuité du service public ».

La grève

Lorsque le dialogue social est rompu, les travailleurs peuvent recourir à la grève pour faire entendre leurs revendications ; c’est une autre façon de poursuivre le dialogue social, certes regrettable et dommageable pour tous (travailleurs, employeurs – privé ou public- usagers des services) mais inscrite à la fois dans nos pratiques et dans la Constitution.
En France – il en va différemment dans d’autres pays européens ou non – le droit de grève est reconnu depuis 1864 (Loi Ollivier du 25 mai 1864) ; la Constitution de 1946 a inscrit en son préambule que « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; il s’agit d’un « principe particulièrement nécessaire à notre temps ». Ce Droit fondamental a été depuis plusieurs fois précisé et confirmé, notamment dans le cadre du Code du travail. Il y est en particulier indiqué que :

- La grève est un acte collectif, le droit reste cependant individuel
- Dans les services publics, mais pas dans le privé, un préavis de cinq jours doit être déposé
- Un employeur ne peut pas casser une grève en ayant recours à l’intérim, ou à des CDD

Pour éviter les inconvénients liés à l’acte de grève, certains secteurs professionnels, les transports notamment, ont développé des dispositifs de prévention des conflits qui visent à résoudre les conflits avant, et non après la grève. Toutefois, dans certains cas, notamment lorsque le conflit dépasse l’épure de l’entreprise (cas de la grève du 22 mai), ce dispositif peut ne pas fonctionner.

Au-delà de la revendication catégorielle

Tous les gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, ont été confrontés à des mouvements sociaux, notamment lorsque de leur fait (nouvelles dispositions légales ou réglementaires) ou du fait de phénomènes extérieurs (exemple actuellement le coût du carburant pour les pécheurs), une catégorie sociale estime d’une part qu’elle est lésée dans ses intérêts, d’autre part que les négociations n’ont pas été conduites de façon satisfaisante.

Une grève ne doit donc jamais être prise à la légère ; on n’est plus à l’époque du slogan du XIX° siècle : « Classes laborieuses, classes dangereuses », où il fallait avant tout se méfier des ouvriers ( relire Germinal de Zola) et les « mâter » ; elle dénote toujours qu’il se passe quelque chose de grave ; le devoir d’un employeur, d’un gouvernement, est d’abord de rechercher les compromis acceptables, et en cas d’échec d’entreprendre les négociations pour mettre fin au conflit. C’est la seule attitude conforme à la Lettre et à l’Esprit de la Constitution.

Une grève isolée peut traduire un malaise localisé, que l’on peut souvent résoudre facilement ; des grèves répétées, concernant aussi plusieurs secteurs d’activité, accompagnées de surcroît de manifestations pendant les jours chômés (exemple : dimanche 18 mai), constituent un indicateur social significatif que l’on ne peut pas prendre à la légère.

Des attitudes qui aggravent le malaise social

Or dans la situation que nous connaissons aujourd’hui, l’attitude du gouvernement et de la présidence sont de nature à aggraver le malaise social plutôt qu’à le réduire :

J’ai été élu pour appliquer ce programme, je l’appliquerai : c’est exact, mais à ceci près qu’un programme quel qu’il soit ne peut invalider les dispositifs constitutionnels ; ce n’est pas parce que les Français ont majoritairement voté pour ce programme que sa mise en œuvre pourrait mettre en question le droit de grève et la recherche, qui lui est associée, d’un compromis (Le Président, le Premier Ministre)

Les grèves sont inutiles ; elles ne règlent aucun problème : c’est à la fois vrai et faux : d’une part elles ne sont pas faites pour régler les problèmes, mais pour les dénoncer ; ensuite elles sont tout aussi, mais pas plus, inutiles que les projets de règlement qui les provoquent ; en fait, lorsqu’elles se prolongent ou se renouvellent, elles sont toujours regrettables, car dans tous les cas elles stigmatisent les conflits et exaspèrent les usagers. (Le Ministre de l’Education Nationale)

Je demande aux municipalités d’instaurer un service de remplacement dans les établissements d’enseignement afin d’assurer l’accueil des élèves ; cette disposition facilite sans aucun doute la vie des parents d’élèves. Mais elle semble bien contraire aux dispositions
du code du travail mentionnées ci-dessus ; c’est en ce sens que les syndicats parlent de « franchissement de la ligne rouge ». Or les syndicats ont montré dans d’autres cas (transports) qu’une négociation sur un service minimum pouvait aboutir. (Le Ministre de l’Education Nationale)

Une loi fera obligation aux grévistes de se déclarer individuellement 48 heures à l’avance ; cette loi risque fort d’être considérée anticonstitutionnelle, dans la mesure où la grève est par définition un acte collectif et non individuel. (Le Président)


Ces prises de position peuvent à juste titre être considérées comme des manifestations de mépris vis-à-vis du droit des travailleurs, tel qu’il est inscrit dans la Constitution ; elles risquent d’entraîner une surenchère dans les revendications, une crispation sur des intérêts particuliers, un oubli de l’intérêt collectif. Passer d’une grève à l’autre, d’une manifestation à l’autre, surtout dans une période où le moral des Français est à la baisse, cela ne peut qu’accroître le malaise social, attiser les mécontentements de part et d’autre, mettre en péril le lien social et ouvrir la voie à une société fragmentée.

Rendre la grève inutile

Nous n’avons pas, en ces quelques lignes essayé de savoir si telle grève, ou telle autre est « fondée « ou non, selon des critères de recherche de l’intérêt général ; car toute grève est constitutionnellement fondée ; les partenaires sociaux, et d’abord ceux qui détiennent le pouvoir (économique, politique, social) doivent , précisément dans la recherche de l’intérêt de tous, rendre la grève inutile ; or une grève est inutile dès lors qu’elle n’a pas eu motif d’avoir lieu.

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