Ce mois de mai connaît à la fois un taux de mouvements sociaux élevé, et des polémiques concernant l’interprétation du droit de grève, au regard notamment de la « continuité du service public ».
La grève
Lorsque le dialogue social est rompu, les travailleurs peuvent recourir à la grève pour faire entendre leurs revendications ; c’est une autre façon de poursuivre le dialogue social, certes regrettable et dommageable pour tous (travailleurs, employeurs – privé ou public- usagers des services) mais inscrite à la fois dans nos pratiques et dans la Constitution.
En France – il en va différemment dans d’autres pays européens ou non – le droit de grève est reconnu depuis 1864 (Loi Ollivier du 25 mai 1864) ; la Constitution de 1946 a inscrit en son préambule que « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; il s’agit d’un « principe particulièrement nécessaire à notre temps ». Ce Droit fondamental a été depuis plusieurs fois précisé et confirmé, notamment dans le cadre du Code du travail. Il y est en particulier indiqué que :
- La grève est un acte collectif, le droit reste cependant individuel
- Dans les services publics, mais pas dans le privé, un préavis de cinq jours doit être déposé
- Un employeur ne peut pas casser une grève en ayant recours à l’intérim, ou à des CDD
Pour éviter les inconvénients liés à l’acte de grève, certains secteurs professionnels, les transports notamment, ont développé des dispositifs de prévention des conflits qui visent à résoudre les conflits avant, et non après la grève. Toutefois, dans certains cas, notamment lorsque le conflit dépasse l’épure de l’entreprise (cas de la grève du 22 mai), ce dispositif peut ne pas fonctionner.
Au-delà de la revendication catégorielle
Tous les gouvernements, quelle que soit leur orientation politique, ont été confrontés à des mouvements sociaux, notamment lorsque de leur fait (nouvelles dispositions légales ou réglementaires) ou du fait de phénomènes extérieurs (exemple actuellement le coût du carburant pour les pécheurs), une catégorie sociale estime d’une part qu’elle est lésée dans ses intérêts, d’autre part que les négociations n’ont pas été conduites de façon satisfaisante.
Une grève ne doit donc jamais être prise à la légère ; on n’est plus à l’époque du slogan du XIX° siècle : « Classes laborieuses, classes dangereuses », où il fallait avant tout se méfier des ouvriers ( relire Germinal de Zola) et les « mâter » ; elle dénote toujours qu’il se passe quelque chose de grave ; le devoir d’un employeur, d’un gouvernement, est d’abord de rechercher les compromis acceptables, et en cas d’échec d’entreprendre les négociations pour mettre fin au conflit. C’est la seule attitude conforme à la Lettre et à l’Esprit de la Constitution.
Une grève isolée peut traduire un malaise localisé, que l’on peut souvent résoudre facilement ; des grèves répétées, concernant aussi plusieurs secteurs d’activité, accompagnées de surcroît de manifestations pendant les jours chômés (exemple : dimanche 18 mai), constituent un indicateur social significatif que l’on ne peut pas prendre à la légère.
Des attitudes qui aggravent le malaise social
Or dans la situation que nous connaissons aujourd’hui, l’attitude du gouvernement et de la présidence sont de nature à aggraver le malaise social plutôt qu’à le réduire :
J’ai été élu pour appliquer ce programme, je l’appliquerai : c’est exact, mais à ceci près qu’un programme quel qu’il soit ne peut invalider les dispositifs constitutionnels ; ce n’est pas parce que les Français ont majoritairement voté pour ce programme que sa mise en œuvre pourrait mettre en question le droit de grève et la recherche, qui lui est associée, d’un compromis (Le Président, le Premier Ministre)
Les grèves sont inutiles ; elles ne règlent aucun problème : c’est à la fois vrai et faux : d’une part elles ne sont pas faites pour régler les problèmes, mais pour les dénoncer ; ensuite elles sont tout aussi, mais pas plus, inutiles que les projets de règlement qui les provoquent ; en fait, lorsqu’elles se prolongent ou se renouvellent, elles sont toujours regrettables, car dans tous les cas elles stigmatisent les conflits et exaspèrent les usagers. (Le Ministre de l’Education Nationale)
Je demande aux municipalités d’instaurer un service de remplacement dans les établissements d’enseignement afin d’assurer l’accueil des élèves ; cette disposition facilite sans aucun doute la vie des parents d’élèves. Mais elle semble bien contraire aux dispositions
du code du travail mentionnées ci-dessus ; c’est en ce sens que les syndicats parlent de « franchissement de la ligne rouge ». Or les syndicats ont montré dans d’autres cas (transports) qu’une négociation sur un service minimum pouvait aboutir. (Le Ministre de l’Education Nationale)
Une loi fera obligation aux grévistes de se déclarer individuellement 48 heures à l’avance ; cette loi risque fort d’être considérée anticonstitutionnelle, dans la mesure où la grève est par définition un acte collectif et non individuel. (Le Président)
Ces prises de position peuvent à juste titre être considérées comme des manifestations de mépris vis-à-vis du droit des travailleurs, tel qu’il est inscrit dans la Constitution ; elles risquent d’entraîner une surenchère dans les revendications, une crispation sur des intérêts particuliers, un oubli de l’intérêt collectif. Passer d’une grève à l’autre, d’une manifestation à l’autre, surtout dans une période où le moral des Français est à la baisse, cela ne peut qu’accroître le malaise social, attiser les mécontentements de part et d’autre, mettre en péril le lien social et ouvrir la voie à une société fragmentée.
Rendre la grève inutile
Nous n’avons pas, en ces quelques lignes essayé de savoir si telle grève, ou telle autre est « fondée « ou non, selon des critères de recherche de l’intérêt général ; car toute grève est constitutionnellement fondée ; les partenaires sociaux, et d’abord ceux qui détiennent le pouvoir (économique, politique, social) doivent , précisément dans la recherche de l’intérêt de tous, rendre la grève inutile ; or une grève est inutile dès lors qu’elle n’a pas eu motif d’avoir lieu.
mardi 20 mai 2008
lundi 12 mai 2008
Mixité, non-mixité à l'Ecole : réaction d'un lecteur
Lundi 12 mai : Je reçois de Cyril Alberi, un lecteur qui enseigne actuellement en Irlande, cette réaction à mon Au jour le jour du 23 avril concernant la mixité à l’école. En langue anglaise, le phénomène d’intimidation dont il fait état se nomme « bullying » ; on parle même de "cyber-bullying" lorsque le vecteur de l'intimidation est internet ; en Italie on a traduit par « bullismo » ; intéressant de noter que ce sont deux pays où l’église conserve une influence très importante, à l’école notamment.
« A l’heure où notre gouvernement envisage de rétablir la non-mixité dans les écoles, il semble judicieux de s’intéresser à certains de nos voisins européens, chez qui ce modèle prévaut encore de nos jours. L’Irlande en est un exemple, avec un système scolaire encore largement privé et aux mains de l’Église. Mais il semble, quand on observe, un tant soit peu, le milieu scolaire, qu’au lieu de limiter les problèmes, la non-mixité en engendre de nouveaux.
Considérons le cas des écoles de filles. Comme on peut s’y attendre, la violence physique y est quasiment inexistante, mais il y existe, néanmoins, un problème inquiétant et qui ne cesse de prendre de l’envergure : l’intimidation. Cela consiste simplement à menacer certaines élèves à la moindre occasion, et sans en retirer quoi que ce soit. Rien à voir donc, avec le ‘racket’, ou d’autres pratiques, que nous connaissons en France. Ce phénomène nous est tellement inconnu, que notre langue ne comporte pas de terme exact pour nommer de tels individus. Ajoutons qu’un article, du journal irlandais Independent, d’avril 2008, affirme que 43% des filles de 15 ans sont victimes de tentatives d’intimidation de façon régulière, et que les conséquences peuvent être graves, allant d’une baisse de moyenne, et d’un refus de se rendre à l’école, jusqu’au suicide pour certaines.
La non mixité serait-elle alors le remède miracle pour résoudre les problèmes de violence à l’école ?... »
« A l’heure où notre gouvernement envisage de rétablir la non-mixité dans les écoles, il semble judicieux de s’intéresser à certains de nos voisins européens, chez qui ce modèle prévaut encore de nos jours. L’Irlande en est un exemple, avec un système scolaire encore largement privé et aux mains de l’Église. Mais il semble, quand on observe, un tant soit peu, le milieu scolaire, qu’au lieu de limiter les problèmes, la non-mixité en engendre de nouveaux.
Considérons le cas des écoles de filles. Comme on peut s’y attendre, la violence physique y est quasiment inexistante, mais il y existe, néanmoins, un problème inquiétant et qui ne cesse de prendre de l’envergure : l’intimidation. Cela consiste simplement à menacer certaines élèves à la moindre occasion, et sans en retirer quoi que ce soit. Rien à voir donc, avec le ‘racket’, ou d’autres pratiques, que nous connaissons en France. Ce phénomène nous est tellement inconnu, que notre langue ne comporte pas de terme exact pour nommer de tels individus. Ajoutons qu’un article, du journal irlandais Independent, d’avril 2008, affirme que 43% des filles de 15 ans sont victimes de tentatives d’intimidation de façon régulière, et que les conséquences peuvent être graves, allant d’une baisse de moyenne, et d’un refus de se rendre à l’école, jusqu’au suicide pour certaines.
La non mixité serait-elle alors le remède miracle pour résoudre les problèmes de violence à l’école ?... »
vendredi 9 mai 2008
Rigueur, non-rigueur
Rigueur : l'acception du terme, depuis sa racine originelle : riga = la règle, a dévié dans deux directions apparemment divergentes : la stricte application de la règle (une gestion rigoureuse) ; la difficulté, la dureté, liées à une situation (un hiver rigoureux).
L'interdiction venue du Président d'utiliser le terme rigueur pour parler des mesures prises ou à prendre, afin de répondre à l'actuelle crise économique et sociale est bien sûr inspirée par la crainte que le terme ne soit exclusivement interprété dans sa seconde acception, elle-même porteuse de souvenirs peu appréciés ; et que donc après le temps des discours porteurs d'horizons heureux, les dénis n'apparaissent comme une trahison.
Il eût fallu être prudent et éviter de clamer « Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas », car l'expérience indique que tous les Présidents ont menti et trahi : De Gaulle et les pieds-noirs avec son «Je vous ai compris » ; Pompidou avec son état de santé ; Giscard entre les dîners aux chaumières et les diamants de Bokassa ; Mitterrand avec le tournant de la rigueur et les « omissions » sur Vichy, Mazarine et autres ; Chirac avec l'abandon de toute référence à la fracture sociale, sur quoi il avait été élu, et les "petits "scandales financiers.
Mais le Président a cru pouvoir pousser la rupture jusqu'à ce point inatteignable de la politique : il eut été plus avisé de moins s'avancer.
Aujourd'hui toute annonce de plan de rigueur (à la fois rigoureux et rigoureux) apparaîtrait à coup sûr comme une trahison.
Pourtant la situation financière, économique et sociale n'est plus à prendre à la légère ; elle ne peut être réglée par des slogans et des propos doucereux ; par des procédures de masquage ou d'évitement.
Résumons :
· « Les caisses de l'Etat sont vides »
· le pouvoir d'achat a baissé
· le prix des matières premières flambe
· la croissance est inférieure à ce qui était prévu et à ce qui est dit
· la balance du commerce extérieur est en négatif
· la Commission européenne a entamé un bras de fer avec Paris au sujet des déficits
· les mesures de relance de la consommation intérieure restent sans effet
· l'ostentation des plus riches (salaires, bénéfices, avantages, scandales ...) côtoie l'augmentation de la pauvreté
· le sous-emploi des seniors et l'allongement de la durée du temps de travail en contradiction
· des performances peu honorables du système d'enseignement
· un déficit inquiétant d'ambition et de perspectives dans des réformes clés comme celle de l'éducation
· les droits de l'homme bafoués dans l'institution carcérale et dans le règlement de certains problèmes d'immigration (mais des leçons données ailleurs)
· hésitations et volte-face dans la politique étrangère
En outre, l’un des points faibles de notre système économique reste le niveau des salaires. Le salaire médian, selon l’INSEE, serait de 1400 € par mois (on appelle salaire médian, celui qui partage en deux parts égales le nombre de ceux qui gagnent plus et le nombre de ceux qui gagnent moins) et plus de 12% de la population vivraient en dessous du seuil de pauvreté (60% de 1400, soit un peu plus de 800 €). Or ce sont ceux qui gagnent moins de 800 € qui souffrent le plus de la nouvelle situation économique.
Certes, tout est relatif : la France reste l’un des pays les plus riches du monde ; les Français bénéficient d’un Indice de Développement Humain (IDH) élevé ; la protection sociale est de très haut niveau ; le niveau de vie est des plus enviables. D’autre part le seuil de pauvreté n’a pas le même sens selon le lieu où l’on vit. Cependant toute diminutio capitis sera nécessairement ressentie comme un rognage des « avantages acquis ». Le Président n’a-t-il pas d’ailleurs fait valoir cela pour augmenter de 172 % son salaire (qui reste au demeurant modeste, au vu de certains autres), arguant du fait qu’il ne pouvait pas gagner moins que lorsqu’il était simple ministre ?
Or, on en est aujourd'hui non seulement à mentir, mais à se mentir ; il faut en finir avec cette pratique qui constitue un véritable déni de démocratie.
Le devoir suprême du Président est d’abord d’exposer clairement et sincèrement la situation de la France ; ensuite de créer réellement les conditions d'un sursaut. Il doit le faire à double titre : celui de Président de tous les Français celui de Président de l’Union européenne à partir du mois de juillet. Et cela au risque d'apparaître comme quelqu’un qui a menti et un trahi. On lui pardonnera s’il sait ouvrir de nouvelles voies.
Il faut donc avoir le courage d'annoncer la nécessité d'un plan de rigueur ; chacun peut comprendre que la politique de l'autruche ne peut qu'apporter des aggravations ; cependant un plan de rigueur, dans un pays toujours prêt à brandir des slogans dans la rue, n'est « jouable » qu'à un certain nombre de conditions :
· un geste politique fort et significatif : ce pourrait être la « démission » du gouvernement (Chirac avait dissous l'Assemblée), pour faute d'autosatisfaction, de dissimulation, de mépris des travailleurs, de manque de professionnalisme
· élaboration d'un pacte social avec les syndicats, le patronat, la « majorité » et l'opposition, sur la base d'un projet de Salut Public
· création d'un gouvernement de solidarité ( à l'exemple de ce qui se fait en Allemagne)
· prise de mesures concernant toutes les couches de la société, plutôt dans le sens d'un Robin des bois que de celui qui rend aux riches (par exemple avec le « paquet fiscal ») et prend aux pauvres
· établissement d'un échéancier (éviter de dire : « Attendez que je m'en aille ! ») permettant le suivi, l'évaluation, la régulation
· association de la « société civile » au redressement de la France
Hors l’acceptation d’un plan de rigueur – et donc sa conception et sa mise en œuvre dans la concertation – toute réforme est dans notre pays condamnée d’avance ; on peut certes, comme on l’a déjà fait, attendre ; mais si on ne peut pas réformer, puisqu’on dispose pas, comme il y a 50 ans, d’un Général en réserve, alors c’est la révolution.
L'interdiction venue du Président d'utiliser le terme rigueur pour parler des mesures prises ou à prendre, afin de répondre à l'actuelle crise économique et sociale est bien sûr inspirée par la crainte que le terme ne soit exclusivement interprété dans sa seconde acception, elle-même porteuse de souvenirs peu appréciés ; et que donc après le temps des discours porteurs d'horizons heureux, les dénis n'apparaissent comme une trahison.
Il eût fallu être prudent et éviter de clamer « Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas », car l'expérience indique que tous les Présidents ont menti et trahi : De Gaulle et les pieds-noirs avec son «Je vous ai compris » ; Pompidou avec son état de santé ; Giscard entre les dîners aux chaumières et les diamants de Bokassa ; Mitterrand avec le tournant de la rigueur et les « omissions » sur Vichy, Mazarine et autres ; Chirac avec l'abandon de toute référence à la fracture sociale, sur quoi il avait été élu, et les "petits "scandales financiers.
Mais le Président a cru pouvoir pousser la rupture jusqu'à ce point inatteignable de la politique : il eut été plus avisé de moins s'avancer.
Aujourd'hui toute annonce de plan de rigueur (à la fois rigoureux et rigoureux) apparaîtrait à coup sûr comme une trahison.
Pourtant la situation financière, économique et sociale n'est plus à prendre à la légère ; elle ne peut être réglée par des slogans et des propos doucereux ; par des procédures de masquage ou d'évitement.
Résumons :
· « Les caisses de l'Etat sont vides »
· le pouvoir d'achat a baissé
· le prix des matières premières flambe
· la croissance est inférieure à ce qui était prévu et à ce qui est dit
· la balance du commerce extérieur est en négatif
· la Commission européenne a entamé un bras de fer avec Paris au sujet des déficits
· les mesures de relance de la consommation intérieure restent sans effet
· l'ostentation des plus riches (salaires, bénéfices, avantages, scandales ...) côtoie l'augmentation de la pauvreté
· le sous-emploi des seniors et l'allongement de la durée du temps de travail en contradiction
· des performances peu honorables du système d'enseignement
· un déficit inquiétant d'ambition et de perspectives dans des réformes clés comme celle de l'éducation
· les droits de l'homme bafoués dans l'institution carcérale et dans le règlement de certains problèmes d'immigration (mais des leçons données ailleurs)
· hésitations et volte-face dans la politique étrangère
En outre, l’un des points faibles de notre système économique reste le niveau des salaires. Le salaire médian, selon l’INSEE, serait de 1400 € par mois (on appelle salaire médian, celui qui partage en deux parts égales le nombre de ceux qui gagnent plus et le nombre de ceux qui gagnent moins) et plus de 12% de la population vivraient en dessous du seuil de pauvreté (60% de 1400, soit un peu plus de 800 €). Or ce sont ceux qui gagnent moins de 800 € qui souffrent le plus de la nouvelle situation économique.
Certes, tout est relatif : la France reste l’un des pays les plus riches du monde ; les Français bénéficient d’un Indice de Développement Humain (IDH) élevé ; la protection sociale est de très haut niveau ; le niveau de vie est des plus enviables. D’autre part le seuil de pauvreté n’a pas le même sens selon le lieu où l’on vit. Cependant toute diminutio capitis sera nécessairement ressentie comme un rognage des « avantages acquis ». Le Président n’a-t-il pas d’ailleurs fait valoir cela pour augmenter de 172 % son salaire (qui reste au demeurant modeste, au vu de certains autres), arguant du fait qu’il ne pouvait pas gagner moins que lorsqu’il était simple ministre ?
Or, on en est aujourd'hui non seulement à mentir, mais à se mentir ; il faut en finir avec cette pratique qui constitue un véritable déni de démocratie.
Le devoir suprême du Président est d’abord d’exposer clairement et sincèrement la situation de la France ; ensuite de créer réellement les conditions d'un sursaut. Il doit le faire à double titre : celui de Président de tous les Français celui de Président de l’Union européenne à partir du mois de juillet. Et cela au risque d'apparaître comme quelqu’un qui a menti et un trahi. On lui pardonnera s’il sait ouvrir de nouvelles voies.
Il faut donc avoir le courage d'annoncer la nécessité d'un plan de rigueur ; chacun peut comprendre que la politique de l'autruche ne peut qu'apporter des aggravations ; cependant un plan de rigueur, dans un pays toujours prêt à brandir des slogans dans la rue, n'est « jouable » qu'à un certain nombre de conditions :
· un geste politique fort et significatif : ce pourrait être la « démission » du gouvernement (Chirac avait dissous l'Assemblée), pour faute d'autosatisfaction, de dissimulation, de mépris des travailleurs, de manque de professionnalisme
· élaboration d'un pacte social avec les syndicats, le patronat, la « majorité » et l'opposition, sur la base d'un projet de Salut Public
· création d'un gouvernement de solidarité ( à l'exemple de ce qui se fait en Allemagne)
· prise de mesures concernant toutes les couches de la société, plutôt dans le sens d'un Robin des bois que de celui qui rend aux riches (par exemple avec le « paquet fiscal ») et prend aux pauvres
· établissement d'un échéancier (éviter de dire : « Attendez que je m'en aille ! ») permettant le suivi, l'évaluation, la régulation
· association de la « société civile » au redressement de la France
Hors l’acceptation d’un plan de rigueur – et donc sa conception et sa mise en œuvre dans la concertation – toute réforme est dans notre pays condamnée d’avance ; on peut certes, comme on l’a déjà fait, attendre ; mais si on ne peut pas réformer, puisqu’on dispose pas, comme il y a 50 ans, d’un Général en réserve, alors c’est la révolution.
jeudi 1 mai 2008
L'Ecole est-elle encore une prioité ? (3)
Ceci constitue le troisième –et dernier – volet de notre texte L’école est-elle encore une priorité ?
3) Connaît-on des solutions efficaces ? Comment et avec qui les mettre en œuvre ? Cela relève-t-il de la prospective ou de l’utopie ?
Objectifs et démarches
D’abord réaffirmer les objectifs sociaux de l’école ; il n’y a pas de solution viable sans définition claire et argumentée des objectifs.
L’Ecole a longtemps fonctionné comme « ascenseur social » : les enfants des classes populaires pouvaient grâce à elle accéder à des positions sociales et professionnelles qui jadis leur étaient fermées ; on a par la suite dénoncé (ce fut notamment la thèse du sociologue Bourdieu) la « reproduction » : la réussite était réservée aux enfants des plus favorisés ; puis vint l’ère de « l’élitisme républicain « de J.P. Chevènement ; l’école sélective, oui ; mais en fonction du mérite de chacun (ça n’a pas marché) ; aujourd’hui la situation est complètement brouillée : le discours officiel est « ne laisser personne au bord du chemin » ; mais le discours ne construit pas la réalité ; il a au contraire tendance à la masquer.
Les circonstances aujourd’hui, tant en termes de cohésion sociale (qui est le fondement de notre volonté de vivre ensemble) que de perspectives de développement du bien-être (dont les composantes économiques sont fondamentalement), sont radicalement différentes de ce quelles étaient à la fin du XIX° siècle, à l’époque de Jules Ferry, fondateur de l’école laïque, gratuite et obligatoire ; différentes aussi de celles que nous avons connu dans la deuxième moitié du XX° : la société de consommation (la consommation étant la base de la croissance) touche toutes les classes ; la mondialisation efface les frontières économiques et culturelles ; l’essor prodigieux des communications modifie notre rapport aux autres et au monde ; la technicité accrue du travail appelle des compétences diversifiées, affirmées, mais évolutives ; l’excessive focalisation sur le présent (liée aux phénomènes précédents) a pour conséquence une délégitimation du passé et risque d’entraîner une crise d’identité culturelle dont les communautarismes seraient un dangereux avatar.
Il faut donc affirmer de nouveaux principes fondateurs pour notre école de base (celle qui établit le « Socle des connaissances), et lui assigner des objectifs (des impératifs) de trois ordres :
Des objectifs cognitifs : quelle que soit la facilité aujourd’hui d’acquérir des connaissances avec les nouvelles bases de données disponibles sur les réseaux, il reste indispensable de disposer des connaissances fondamentales dans au moins quatre secteurs :
* La maîtrise de la langue maternelle, à la fois dans ses aspects formels et dans ses réalisations culturelles ; lecture, écriture, rédaction, connaissance des œuvres ; puis des autres modes d’expression (peinture, photo, musique …)
* Les sciences : les mathématiques, bien sûr, les «sciences » (travaux expérimentaux, « main à la pâte …), et les techniques,
* Les langues vivantes ; et ce au plus jeune âge ; l’espace européen, l’espace mondial, exigent aujourd’hui que chacun, outre sa langue maternelle, pratique une langue de grande communication (l’anglais, actuellement) et une ou deux langues culturelles (régionale et/ou nationale).
* Les « sciences humaines » : histoire, géographie, civilisations, à la fois à l’échelle de la France et de l’Europe et du monde : se situer dans le monde implique la connaissance de son étendue et de son épaisseur historique.
C’est sur ces objectifs que doivent se construire les programmes, dans des agencements, des équilibres et des progressions qui ne négligent ni les renforcements (revenir sur un sujet, l’approfondir) ni l’ouverture (aller vers des faits associés), ni le développement des goûts et talents particuliers de chacun.
Des objectifs méthodologiques : il s’agit de développer la compétence à l’apprentissage : il est banal de dire qu’on apprend tout au long de sa vie ; mais nous a-t-on appris à apprendre ? Et plus encore, à comprendre ? L’idée selon laquelle les facultés intellectuelles seraient données une fois pour toutes repose sur des principes purement idéologiques, liées à l’idée que l’on se fait de la séparation des classes sociales. Les travaux scientifiques dans le domaine de la neuro-biologie, de la psychologie cognitive notamment, indiquent que la part « épigénétique » (c'est-à-dire après le génétique), la façon dont se déroule la relation avec l’environnement et la culture, est largement prépondérante ; l’intelligence se construit ; on apprend à être intelligent, à faire des analyses (séparer les éléments ) des synthèses (les rassembler) et des constructions (inventer).
La maîtrise des objectifs méthodologiques est la condition de la maîtrise des objectifs cognitifs dont nous venons de parler. C’est à la fois par l’exemple attaché à la façon d’enseigner, et par l’aide apportée aux élèves lorsqu’ils rencontrent des difficultés (or, être élève, apprendre, c’est toujours difficile) que ces objectifs peuvent être atteints. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, le savoir-faire est la condition du savoir.(voir à ce sujet notre Le métier d’élève, Hachette, 1ère édition 1991)
Des objectifs de progrès social : le fondement en sera la réussite pour tous ; il est évident que si les objectifs cognitifs et les objectifs méthodologiques sont atteints, ces derniers doivent l’être aussi. En réalité ils constituent l’horizon de tout acte d’enseignement ; l’Ecole est pour tous ; les dépenses budgétaires en éducation sont importantes ; que tous en tirent bénéfice constitue une exigence élémentaire. C’est une exigence envers les élèves (ils doivent travailler) c’est une exigence envers l’institution : elle doit leur donner les moyens de réussir ; là est le véritable « contrat scolaire ». La loi sur l’éducation de 1981 (Jospin), tout comme celle de 1995 (Fillon) mettent la réussite de tous en tête des objectifs. C’est une vraie « révolution » : les objectifs sont non négociables, la régulation intervient au niveau des démarches (alors que dans la vision traditionnelle de l’Ecole, les démarches sont non (ou peu) négociables et les objectifs variables).
La réussite massive des fils d’enseignants aux examens, et d’abord au baccalauréat, indique – sauf à penser que par définition ils seraient plus doués que d’autres – que dans certaines conditions ces objectifs peuvent être atteints.
Utopie, fiction ou réalité ?
Dans le domaine de l’éducation il existe de nombreux travaux scientifiques (pédagogie, sciences cognitives, psychologie, sociologie, linguistique et communication …) ; ces travaux concernent soit des questions fondamentales (exemple, en sciences cognitives la nature et le fonctionnement biologique de la mémoire) soit des applications (comment fixer, réactiver, réutiliser les acquis). Paradoxalement c’est dans les secteurs parallèles, tels que l’information ou la publicité que ces données nouvelles ont été le plus valorisées.
On sait que les enseignants lisent peu de littérature professionnelle (au grand dam des éditeurs) ; on ne saurait leur jeter la pierre car rien ne les y invite ni incite ; il n’y a pas si longtemps que des inspecteurs déconseillaient aux enseignants de participer à des activités de recherche …
Leur formation professionnelle de base est rudimentaire : six mois à mi-temps pour un professeur de collège (l’autre mi-temps est consacrée à enseigner en situation de responsabilité) ; et l’innovation est souvent mal vue par l’administration.
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Quant à leur formation continue elle est pratiquement inexistante, facultative et lorsqu’elle est proposée, axée essentiellement sur les contenus, comme si ce vieil adage « Des connaissances découle la pédagogie » était vraiment pertinent.
Rien donc n’est fait, tout au contraire, pour que les enseignants soient et restent de vrais professionnels de l’enseignement.
Il arrive aussi que les parents, très légitimement soucieux de la façon dont l’école prend en charge leurs enfants, mais qui ont parfois de l’école une idée héritée de celle de leurs grands parents, se sentent fondés à intervenir sur la façon d’enseigner ; ils constituent alors un groupe –explicite ou implicite – de pression qui va dans le sens d’un certain conservatisme ; alors qu’ils devraient être très fermes sur l’atteinte des objectifs de réussite et exiger des professionnels qu’ils fassent leur métier en ce sens.
Avoir une culture du résultat, comme justement on le clame aujourd’hui (mais notons que ce fut une des recommandations du V° Plan dans les années 70 …), implique que l’on se donne aussi les moyens en termes de compétence et de performance des personnes qui ont en charge cette activité.
Les gouvernements accordent à l’éducation un intérêt qui ne se dément jamais. Plus d’un million de fonctionnaires, près de 15 millions d’élèves ou étudiants, au moins 20 millions de parents directement concernés, c’est une population importante. Le navire de l’éducation ne peut être piloté qu’avec doigté. Peut-on dans ces conditions « réformer » la marche du vaisseau ?
L’expérience montre qu’il n’y a que deux façons de faire : soit par « ordonnance » soit par « participation ». Par ordonnance ce fut fait en 1959 ; la IV° République n’avait pas été avare de projets, dont aucun ne fut conduit à terme ; c’est donc par ordonnance que, en 1959, le ministre Jean Berthoin, institue la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans.
Cette façon de faire peut réussir lorsqu’il s’agit d’organisation générale de l’enseignement, mais elle est tout à fait inappropriée dès qu’il s’agit d’agir sur les méthodes et les pratiques.
L’autre façon est celle qui fut tentée par le ministre Alain Savary, en 1982, dans le cadre de la Rénovation des collèges et des lycées. Il s’agit alors de développer des « initiatives pour la réussite », dans les établissements d’enseignement, en apportant aux enseignants toute l’aide – en conseils, en formation – dont ils pouvaient avoir besoin. Fut associé à cette démarche un projet de « Banque nationale de données sur les innovations en éducation », destinée à mutualiser les méthodes et démarches innovantes.
Ce projet avait deux gros inconvénients ; tout d’abord il ôtait toute « lisibilité » à l’enseignement : on ne faisait pas la même chose dans toutes les classe à la même heure dans un même niveau : Jean-Pierre Chevènement qui succéda à Alain Savary « siffla la fin de la rénovation » et proclama « l’élitisme républicain » ; ensuite les inspecteurs se virent dépossédés de leur autorité dans la mesure où, puisque on pouvait innover dans les classes, ils n’avaient plus le monopole du « Voici comment il faut faire ».
Il reste que cette démarche, éminemment réformiste, avait deux énormes avantages : elle était fondée sur la participation des enseignants, or l’expérience indique qu’aucune réforme en éducation ne peut se faire « contre » ou « sans » les enseignants ; elle comportait ensuite les éléments de sa propre régulation puisqu’elle associait de façon systémique les démarches (initiatives) et les objectifs (réussite).
Pour conclure
On connaît les maux, on sait où ils s’enracinent, on peut formuler des hypothèses fiables pour une véritable réforme de notre école. Il ne reste alors que deux explications à l’inertie ou au choix de voies sans issue : soit nos gouvernants ne savent pas faire, soit ils ne veulent pas ; ou bien troisième possibilité : disant qu’on veut faire, on choisit des « collaborateurs » qui ne savent pas faire, et bien sûr on les encourage.
Car il faut bien voir les conséquences « dramatiques » d’une école de la réussite pour tous. Des élèves en difficulté, en rupture de parcours, en désappétence scolaire, ça arrange tout le monde ; orientation par l’échec, échec aux examens, abandons en cours d’étude : la hiérarchie sociale est légitimée par la hiérarchie scolaire.
Car comment envisager notre organisation sociale si tous les enfants réussissaient ?
C’est évidemment un autre projet de société qu’il faudrait construire.
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