vendredi 9 mai 2008

Rigueur, non-rigueur

Rigueur : l'acception du terme, depuis sa racine originelle : riga = la règle, a dévié dans deux directions apparemment divergentes : la stricte application de la règle (une gestion rigoureuse) ; la difficulté, la dureté, liées à une situation (un hiver rigoureux).
L'interdiction venue du Président d'utiliser le terme rigueur pour parler des mesures prises ou à prendre, afin de répondre à l'actuelle crise économique et sociale est bien sûr inspirée par la crainte que le terme ne soit exclusivement interprété dans sa seconde acception, elle-même porteuse de souvenirs peu appréciés ; et que donc après le temps des discours porteurs d'horizons heureux, les dénis n'apparaissent comme une trahison.

Il eût fallu être prudent et éviter de clamer « Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas », car l'expérience indique que tous les Présidents ont menti et trahi : De Gaulle et les pieds-noirs avec son «Je vous ai compris » ; Pompidou avec son état de santé ; Giscard entre les dîners aux chaumières et les diamants de Bokassa ; Mitterrand avec le tournant de la rigueur et les « omissions » sur Vichy, Mazarine et autres ; Chirac avec l'abandon de toute référence à la fracture sociale, sur quoi il avait été élu, et les "petits "scandales financiers.

Mais le Président a cru pouvoir pousser la rupture jusqu'à ce point inatteignable de la politique : il eut été plus avisé de moins s'avancer.

Aujourd'hui toute annonce de plan de rigueur (à la fois rigoureux et rigoureux) apparaîtrait à coup sûr comme une trahison.

Pourtant la situation financière, économique et sociale n'est plus à prendre à la légère ; elle ne peut être réglée par des slogans et des propos doucereux ; par des procédures de masquage ou d'évitement.
Résumons :
· « Les caisses de l'Etat sont vides »
· le pouvoir d'achat a baissé
· le prix des matières premières flambe
· la croissance est inférieure à ce qui était prévu et à ce qui est dit
· la balance du commerce extérieur est en négatif
· la Commission européenne a entamé un bras de fer avec Paris au sujet des déficits
· les mesures de relance de la consommation intérieure restent sans effet
· l'ostentation des plus riches (salaires, bénéfices, avantages, scandales ...) côtoie l'augmentation de la pauvreté
· le sous-emploi des seniors et l'allongement de la durée du temps de travail en contradiction
· des performances peu honorables du système d'enseignement
· un déficit inquiétant d'ambition et de perspectives dans des réformes clés comme celle de l'éducation
· les droits de l'homme bafoués dans l'institution carcérale et dans le règlement de certains problèmes d'immigration (mais des leçons données ailleurs)
· hésitations et volte-face dans la politique étrangère

En outre, l’un des points faibles de notre système économique reste le niveau des salaires. Le salaire médian, selon l’INSEE, serait de 1400 € par mois (on appelle salaire médian, celui qui partage en deux parts égales le nombre de ceux qui gagnent plus et le nombre de ceux qui gagnent moins) et plus de 12% de la population vivraient en dessous du seuil de pauvreté (60% de 1400, soit un peu plus de 800 €). Or ce sont ceux qui gagnent moins de 800 € qui souffrent le plus de la nouvelle situation économique.



Certes, tout est relatif : la France reste l’un des pays les plus riches du monde ; les Français bénéficient d’un Indice de Développement Humain (IDH) élevé ; la protection sociale est de très haut niveau ; le niveau de vie est des plus enviables. D’autre part le seuil de pauvreté n’a pas le même sens selon le lieu où l’on vit. Cependant toute diminutio capitis sera nécessairement ressentie comme un rognage des « avantages acquis ». Le Président n’a-t-il pas d’ailleurs fait valoir cela pour augmenter de 172 % son salaire (qui reste au demeurant modeste, au vu de certains autres), arguant du fait qu’il ne pouvait pas gagner moins que lorsqu’il était simple ministre ?


Or, on en est aujourd'hui non seulement à mentir, mais à se mentir ; il faut en finir avec cette pratique qui constitue un véritable déni de démocratie.

Le devoir suprême du Président est d’abord d’exposer clairement et sincèrement la situation de la France ; ensuite de créer réellement les conditions d'un sursaut. Il doit le faire à double titre : celui de Président de tous les Français celui de Président de l’Union européenne à partir du mois de juillet. Et cela au risque d'apparaître comme quelqu’un qui a menti et un trahi. On lui pardonnera s’il sait ouvrir de nouvelles voies.

Il faut donc avoir le courage d'annoncer la nécessité d'un plan de rigueur ; chacun peut comprendre que la politique de l'autruche ne peut qu'apporter des aggravations ; cependant un plan de rigueur, dans un pays toujours prêt à brandir des slogans dans la rue, n'est « jouable » qu'à un certain nombre de conditions :

· un geste politique fort et significatif : ce pourrait être la « démission » du gouvernement (Chirac avait dissous l'Assemblée), pour faute d'autosatisfaction, de dissimulation, de mépris des travailleurs, de manque de professionnalisme
· élaboration d'un pacte social avec les syndicats, le patronat, la « majorité » et l'opposition, sur la base d'un projet de Salut Public
· création d'un gouvernement de solidarité ( à l'exemple de ce qui se fait en Allemagne)
· prise de mesures concernant toutes les couches de la société, plutôt dans le sens d'un Robin des bois que de celui qui rend aux riches (par exemple avec le « paquet fiscal ») et prend aux pauvres
· établissement d'un échéancier (éviter de dire : « Attendez que je m'en aille ! ») permettant le suivi, l'évaluation, la régulation
· association de la « société civile » au redressement de la France



Hors l’acceptation d’un plan de rigueur – et donc sa conception et sa mise en œuvre dans la concertation – toute réforme est dans notre pays condamnée d’avance ; on peut certes, comme on l’a déjà fait, attendre ; mais si on ne peut pas réformer, puisqu’on dispose pas, comme il y a 50 ans, d’un Général en réserve, alors c’est la révolution.

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