Ceci constitue le troisième –et dernier – volet de notre texte L’école est-elle encore une priorité ?
3) Connaît-on des solutions efficaces ? Comment et avec qui les mettre en œuvre ? Cela relève-t-il de la prospective ou de l’utopie ?
Objectifs et démarches
D’abord réaffirmer les objectifs sociaux de l’école ; il n’y a pas de solution viable sans définition claire et argumentée des objectifs.
L’Ecole a longtemps fonctionné comme « ascenseur social » : les enfants des classes populaires pouvaient grâce à elle accéder à des positions sociales et professionnelles qui jadis leur étaient fermées ; on a par la suite dénoncé (ce fut notamment la thèse du sociologue Bourdieu) la « reproduction » : la réussite était réservée aux enfants des plus favorisés ; puis vint l’ère de « l’élitisme républicain « de J.P. Chevènement ; l’école sélective, oui ; mais en fonction du mérite de chacun (ça n’a pas marché) ; aujourd’hui la situation est complètement brouillée : le discours officiel est « ne laisser personne au bord du chemin » ; mais le discours ne construit pas la réalité ; il a au contraire tendance à la masquer.
Les circonstances aujourd’hui, tant en termes de cohésion sociale (qui est le fondement de notre volonté de vivre ensemble) que de perspectives de développement du bien-être (dont les composantes économiques sont fondamentalement), sont radicalement différentes de ce quelles étaient à la fin du XIX° siècle, à l’époque de Jules Ferry, fondateur de l’école laïque, gratuite et obligatoire ; différentes aussi de celles que nous avons connu dans la deuxième moitié du XX° : la société de consommation (la consommation étant la base de la croissance) touche toutes les classes ; la mondialisation efface les frontières économiques et culturelles ; l’essor prodigieux des communications modifie notre rapport aux autres et au monde ; la technicité accrue du travail appelle des compétences diversifiées, affirmées, mais évolutives ; l’excessive focalisation sur le présent (liée aux phénomènes précédents) a pour conséquence une délégitimation du passé et risque d’entraîner une crise d’identité culturelle dont les communautarismes seraient un dangereux avatar.
Il faut donc affirmer de nouveaux principes fondateurs pour notre école de base (celle qui établit le « Socle des connaissances), et lui assigner des objectifs (des impératifs) de trois ordres :
Des objectifs cognitifs : quelle que soit la facilité aujourd’hui d’acquérir des connaissances avec les nouvelles bases de données disponibles sur les réseaux, il reste indispensable de disposer des connaissances fondamentales dans au moins quatre secteurs :
* La maîtrise de la langue maternelle, à la fois dans ses aspects formels et dans ses réalisations culturelles ; lecture, écriture, rédaction, connaissance des œuvres ; puis des autres modes d’expression (peinture, photo, musique …)
* Les sciences : les mathématiques, bien sûr, les «sciences » (travaux expérimentaux, « main à la pâte …), et les techniques,
* Les langues vivantes ; et ce au plus jeune âge ; l’espace européen, l’espace mondial, exigent aujourd’hui que chacun, outre sa langue maternelle, pratique une langue de grande communication (l’anglais, actuellement) et une ou deux langues culturelles (régionale et/ou nationale).
* Les « sciences humaines » : histoire, géographie, civilisations, à la fois à l’échelle de la France et de l’Europe et du monde : se situer dans le monde implique la connaissance de son étendue et de son épaisseur historique.
C’est sur ces objectifs que doivent se construire les programmes, dans des agencements, des équilibres et des progressions qui ne négligent ni les renforcements (revenir sur un sujet, l’approfondir) ni l’ouverture (aller vers des faits associés), ni le développement des goûts et talents particuliers de chacun.
Des objectifs méthodologiques : il s’agit de développer la compétence à l’apprentissage : il est banal de dire qu’on apprend tout au long de sa vie ; mais nous a-t-on appris à apprendre ? Et plus encore, à comprendre ? L’idée selon laquelle les facultés intellectuelles seraient données une fois pour toutes repose sur des principes purement idéologiques, liées à l’idée que l’on se fait de la séparation des classes sociales. Les travaux scientifiques dans le domaine de la neuro-biologie, de la psychologie cognitive notamment, indiquent que la part « épigénétique » (c'est-à-dire après le génétique), la façon dont se déroule la relation avec l’environnement et la culture, est largement prépondérante ; l’intelligence se construit ; on apprend à être intelligent, à faire des analyses (séparer les éléments ) des synthèses (les rassembler) et des constructions (inventer).
La maîtrise des objectifs méthodologiques est la condition de la maîtrise des objectifs cognitifs dont nous venons de parler. C’est à la fois par l’exemple attaché à la façon d’enseigner, et par l’aide apportée aux élèves lorsqu’ils rencontrent des difficultés (or, être élève, apprendre, c’est toujours difficile) que ces objectifs peuvent être atteints. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, le savoir-faire est la condition du savoir.(voir à ce sujet notre Le métier d’élève, Hachette, 1ère édition 1991)
Des objectifs de progrès social : le fondement en sera la réussite pour tous ; il est évident que si les objectifs cognitifs et les objectifs méthodologiques sont atteints, ces derniers doivent l’être aussi. En réalité ils constituent l’horizon de tout acte d’enseignement ; l’Ecole est pour tous ; les dépenses budgétaires en éducation sont importantes ; que tous en tirent bénéfice constitue une exigence élémentaire. C’est une exigence envers les élèves (ils doivent travailler) c’est une exigence envers l’institution : elle doit leur donner les moyens de réussir ; là est le véritable « contrat scolaire ». La loi sur l’éducation de 1981 (Jospin), tout comme celle de 1995 (Fillon) mettent la réussite de tous en tête des objectifs. C’est une vraie « révolution » : les objectifs sont non négociables, la régulation intervient au niveau des démarches (alors que dans la vision traditionnelle de l’Ecole, les démarches sont non (ou peu) négociables et les objectifs variables).
La réussite massive des fils d’enseignants aux examens, et d’abord au baccalauréat, indique – sauf à penser que par définition ils seraient plus doués que d’autres – que dans certaines conditions ces objectifs peuvent être atteints.
Utopie, fiction ou réalité ?
Dans le domaine de l’éducation il existe de nombreux travaux scientifiques (pédagogie, sciences cognitives, psychologie, sociologie, linguistique et communication …) ; ces travaux concernent soit des questions fondamentales (exemple, en sciences cognitives la nature et le fonctionnement biologique de la mémoire) soit des applications (comment fixer, réactiver, réutiliser les acquis). Paradoxalement c’est dans les secteurs parallèles, tels que l’information ou la publicité que ces données nouvelles ont été le plus valorisées.
On sait que les enseignants lisent peu de littérature professionnelle (au grand dam des éditeurs) ; on ne saurait leur jeter la pierre car rien ne les y invite ni incite ; il n’y a pas si longtemps que des inspecteurs déconseillaient aux enseignants de participer à des activités de recherche …
Leur formation professionnelle de base est rudimentaire : six mois à mi-temps pour un professeur de collège (l’autre mi-temps est consacrée à enseigner en situation de responsabilité) ; et l’innovation est souvent mal vue par l’administration.
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Quant à leur formation continue elle est pratiquement inexistante, facultative et lorsqu’elle est proposée, axée essentiellement sur les contenus, comme si ce vieil adage « Des connaissances découle la pédagogie » était vraiment pertinent.
Rien donc n’est fait, tout au contraire, pour que les enseignants soient et restent de vrais professionnels de l’enseignement.
Il arrive aussi que les parents, très légitimement soucieux de la façon dont l’école prend en charge leurs enfants, mais qui ont parfois de l’école une idée héritée de celle de leurs grands parents, se sentent fondés à intervenir sur la façon d’enseigner ; ils constituent alors un groupe –explicite ou implicite – de pression qui va dans le sens d’un certain conservatisme ; alors qu’ils devraient être très fermes sur l’atteinte des objectifs de réussite et exiger des professionnels qu’ils fassent leur métier en ce sens.
Avoir une culture du résultat, comme justement on le clame aujourd’hui (mais notons que ce fut une des recommandations du V° Plan dans les années 70 …), implique que l’on se donne aussi les moyens en termes de compétence et de performance des personnes qui ont en charge cette activité.
Les gouvernements accordent à l’éducation un intérêt qui ne se dément jamais. Plus d’un million de fonctionnaires, près de 15 millions d’élèves ou étudiants, au moins 20 millions de parents directement concernés, c’est une population importante. Le navire de l’éducation ne peut être piloté qu’avec doigté. Peut-on dans ces conditions « réformer » la marche du vaisseau ?
L’expérience montre qu’il n’y a que deux façons de faire : soit par « ordonnance » soit par « participation ». Par ordonnance ce fut fait en 1959 ; la IV° République n’avait pas été avare de projets, dont aucun ne fut conduit à terme ; c’est donc par ordonnance que, en 1959, le ministre Jean Berthoin, institue la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans.
Cette façon de faire peut réussir lorsqu’il s’agit d’organisation générale de l’enseignement, mais elle est tout à fait inappropriée dès qu’il s’agit d’agir sur les méthodes et les pratiques.
L’autre façon est celle qui fut tentée par le ministre Alain Savary, en 1982, dans le cadre de la Rénovation des collèges et des lycées. Il s’agit alors de développer des « initiatives pour la réussite », dans les établissements d’enseignement, en apportant aux enseignants toute l’aide – en conseils, en formation – dont ils pouvaient avoir besoin. Fut associé à cette démarche un projet de « Banque nationale de données sur les innovations en éducation », destinée à mutualiser les méthodes et démarches innovantes.
Ce projet avait deux gros inconvénients ; tout d’abord il ôtait toute « lisibilité » à l’enseignement : on ne faisait pas la même chose dans toutes les classe à la même heure dans un même niveau : Jean-Pierre Chevènement qui succéda à Alain Savary « siffla la fin de la rénovation » et proclama « l’élitisme républicain » ; ensuite les inspecteurs se virent dépossédés de leur autorité dans la mesure où, puisque on pouvait innover dans les classes, ils n’avaient plus le monopole du « Voici comment il faut faire ».
Il reste que cette démarche, éminemment réformiste, avait deux énormes avantages : elle était fondée sur la participation des enseignants, or l’expérience indique qu’aucune réforme en éducation ne peut se faire « contre » ou « sans » les enseignants ; elle comportait ensuite les éléments de sa propre régulation puisqu’elle associait de façon systémique les démarches (initiatives) et les objectifs (réussite).
Pour conclure
On connaît les maux, on sait où ils s’enracinent, on peut formuler des hypothèses fiables pour une véritable réforme de notre école. Il ne reste alors que deux explications à l’inertie ou au choix de voies sans issue : soit nos gouvernants ne savent pas faire, soit ils ne veulent pas ; ou bien troisième possibilité : disant qu’on veut faire, on choisit des « collaborateurs » qui ne savent pas faire, et bien sûr on les encourage.
Car il faut bien voir les conséquences « dramatiques » d’une école de la réussite pour tous. Des élèves en difficulté, en rupture de parcours, en désappétence scolaire, ça arrange tout le monde ; orientation par l’échec, échec aux examens, abandons en cours d’étude : la hiérarchie sociale est légitimée par la hiérarchie scolaire.
Car comment envisager notre organisation sociale si tous les enfants réussissaient ?
C’est évidemment un autre projet de société qu’il faudrait construire.
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