dimanche 20 septembre 2009

Pragmatisme, machiavélisme, impéritie

Le pragmatisme, de nombreux gouvernants s’y réfèrent ; ce serait le contraire de la soumission à une idéologie, le refus de la « pensée unique », l’adaptation aux circonstances, en somme l’art de prendre de bonnes décisions au bon moment, comme le paysan se conforme à la pluie et au beau temps.

Le machiavélisme, ce sont les analystes qui le décèlent ; rarement les gouvernants le revendiquent, car il a mauvaise presse ; c’est non seulement le principe, affirmé par Machiavel au XVI° siècle, que la fin justifie les moyens, mais surtout l’adoption de la rouerie comme principe de gouvernement. Toute personne machiavélique se défend de l’être.

L’impéritie appartient à un tout autre domaine, celui de la compétence ou de l’expertise ; plus exactement encore, il s’agit du manque d’expérience, moins pas dans le sens de ne pas connaître le sujet, que dans celui de ne pas savoir (ou vouloir) en appréhender la complexité et surtout la dimension systémique ; par systémique nous entendons que tout phénomène s’inscrit dans un réseau d’interactions à la fois synchroniques (qui se situent dans le même temps) et diachroniques (qui se situent dans la durée).


Nous nous proposons d’examiner plusieurs décisions prises par le gouvernent (i.e. le Président, car il les avait annoncées dans son « programme »), à l’aune de ces trois critères.
Dans le domaine économique : le bouclier fiscal, puis l’application du principe « Travailler plus pour gagner plus ».
Dans le domaine de l’éducation, la question de la sectorisation (carte scolaire) et la suppression des cours le samedi matin, puis la foration des maîtres.
Dans le domaine de l’organisation territoriale, la réforme en cours concernant les conseils régionaux ou généraux
.


Le bouclier fiscal.

Son principe est double : 1°) Le Président a été élu pour baisser les impôts, non pour les augmenter, personne donc ne doit payer en prélèvements obligatoires plus de la moitié de ce qu’il gagne. 2°) Il est de l’intérêt de tous (recettes fiscales, emploi …) d’éviter l’évasion fiscale et l’implantation de sièges sociaux d’entreprises dans des où la pression fiscale est moindre, ou nulle. En instaurant donc le bouclier fiscal, on fait donc coup double.

Le coup en réalité est parti dans plusieurs directions, mais, tout d’abord il n’a guère produit d’effet en matière d’évasion fiscale, puisque le discours obstinément démagogique du Président sur les paradis fiscaux et la limitation des bonus bancaires, tout comme la liste des 3.000 du ministre du budget, qui cacheraient des avoirs clandestins dans des banques suisses, ainsi que les fermetures et les délocalisations d’entreprises, montrent bien que ledit bouclier n’a guère eu d’effet sur l’évasion fiscale et sur le maintien des entreprises en l’hexagone.

Quant à « baisser les impôts », on n’a pu faire croire à personne que la barre des 50% pouvait concerner les classes défavorisées et même les classes moyennes supérieures. Cette mesure a été en revanche perçue comme un cadeau fait aux personnes les plus favorisés et aux grosses fortunes, qui du même coup, ne paient plus l’impôt sur la fortune.

Comme en revanche elle a diminué le montant des rentrées fiscales, le Premier ministre, puis le Président ont pu ainsi dire que les « caisses étaient vides », qu’il fallait augmenter le forfait hospitalier, ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, augmenter les charges et en même temps diminuer le budget des collectivités territoriales.

Au résultat : un effet positif pour les riches, un effet négatif pour les moins riches ; l’effet systémique de la décision n’a pas été pris en compte ; le discours a occulté la réalité ; le cadeau immédiat fait aux classes très aisées a manifesté la rupture d’avec la pensée d’antan, à savoir, y compris Chirac régnant, que les riches avaient le devoir de partager un peu.
Impéritie donc, machiavélisme aussi, sous couvert de pragmatisme

Travailler plus pour gagner plus

Le slogan est plaisant ; il a empli la campagne du candidat ; il confortait ceux qui pensaient que la France était un pays de faignants et de paresseux, de eremmistes nonchalants ; qu’il fallait donc remettre ce pays au travail ; que le problème du pouvoir d’achat dépendait du seul travail ; que ceux qui bénéficiaient de forts revenus le méritaient bien avec leurs dix-huit heures de travail par jour (y compris il est vrai le temps d’aller choisir sa robe chez Dior pour le repas de « travail » du soir, ou le trajet de Paris à Acapulco pour rencontrer un confrère venu de Brasilia, par exemple ; ou encore …). On a donc inventé de favoriser et pour cela défiscaliser les heures sup, tant pour l’employeur que pour l’employé : gagner plus et ne pas payer plus d’impôts ; tout cela se mérite..

Le résultat n’a guère été positif que pour ceux (entreprises et employés) qui se livraient au travail au noir, devenu ainsi légal sans incidences fiscales ; pour le reste, en période de chômage intense, il a limité le nombre de créations d’emplois, car dire que « le travail crée le travail » reste difficile à prouver sauf en période « glorieuse » ; surtout il a légitimé l’idée que le travail et le gain étaient étroitement corrélés, et que les riches étaient eux, les vrais travailleurs méritants (Arlette a dû apprécier) ; enfin il a limité les rentrées fiscales des finances publiques.

C’est un cas manifeste d’impéritie, avec un soupçon de machiavélisme.


Les questions d’éducation

Le ministre Xavier Darcos était un homme du sérail : agrégé de lettres, il a fait carrière dans l’inspection régionale puis générale, a été directeur de cabinet de François Bayrou, alors en poste rue de Grenelle, avant d’être nommé ministre. Mais en éducation, l’expérience montre que les « meilleurs » ministres n’étaient point du sérail : on peut nommer Guichard, Beullac, Savary et même Robien. En ce sens on peut penser que Luc Chatel, ancien DRH chez l’Oréal, pourrait ne pas être un mauvais choix …En tout cas ne connaissant rien au secteur dont il a la charge, il pourrait, s’il savait bien s’entourer et s’affranchir des ordres venus de l’Elysée, écouter des conseils avisés.

Darcos a pris un certain nombre de mesures, inspirées soit de la doctrine présidentielle, soit de la pression des syndicats, soit de son aversion personnelle pour la pédagogie.

La question de la sectorisation (dite carte scolaire)

Doctrine présidentielle : c’est le principe libéral qui s’impose : chaque élève (chaque parent) peut s’inscrire dans l’établissement de son choix. La raison en est qu’une vraie concurrence entre établissements ne peut qu’apporter les bienfaits d’une culture du résultat ; et aussi que cette disposition favoriserait la mixité sociale.

Ceci malgré les avis d’experts qui signalaient que dans la mesure où ni les locaux, ni les effectifs d’enseignants, n’étaient rapidement modulables, ce seraient en définitive les établissements qui choisiraient leurs élèves, et que par conséquent c’est la ségrégation et non la mixité sociale qui en résulterait. Le résultat fut celui prévu par les experts et qu’aujourd’hui les chefs d’établissement constatent et dénoncent.

Impéritie ? Ou plutôt obéissance aveugle aux idées du Président de la part d’un ministre qui avait su s’opposer à cette autre idée venue de l’Elysée, que chaque élève devrait parrainer un enfant de la Shoah, et à qui on avait certainement fait remarquer qu’une fois ça va, au-delà ….

La suppression des cours le samedi matin dans l’enseignement secondaire.

Il fallait atténuer la grogne des enseignants liée à la suppression massive de postes, en leur faisant un petit cadeau : la semaine de quatre jours ; aussi satisfaire les parents qui souhaitaient profiter d’un week-end complet ( à la neige, à la mer,à la campagne) avec leurs enfants. Ceci malgré tous les universitaires spécialistes des rythmes scolaires qui rappelaient que la surcharge horaire journalière qui en résulterait serait nuisible aux capacités d’attention et de travail des enfants. Malgré aussi les économistes de l’éducation qui calculaient que la France tiendrait ainsi le record du plus petit nombre de jours de cours dans l’année et le plus grand nombre d’heure de cours par jour.

Un rapport de la pourtant très prudente inspection générale de l’éducation nationale confirme les prévisions des experts.

Pragmatisme donc, doublé d’impéritie.

La formation des enseignants

C’est un projet présidentiel : porter cette formation au niveau de bac + 5, c'est-à-dire celui du master. Darcos qui n’a plus droit à la désobéissance, s’aligne ; il y voit aussi l’opportunité dont il rêve depuis toujours, donner le coup de grâce à la pédagogie, au pédagogisme dit-il, et aux pédagogues universitaires ou praticiens, avec lesquels il a depuis le début de sa carrière d’enseignant, entretenu des relations conflictuelles ; en simplifiant, certes, sa doctrine pédagogique est celle de nos grands-parents : « Ecoutez et répétez ». Le moyen ? Supprimer les IUFM, création de la gauche jospinienne (oubliant qu’ils avaient été préfigurés par Beullac, sous Giscard …).

Oubliant aussi que les enseignants étaient déjà recrutés à Bac + 5 : licence : Bac + 3 ; un an ou deux de préparation au concours théorique : Bac + 4 ou 5 ; un an de formation en IUFM : Bac + 5 ou 6.

Le résultat est un cafouillage sans précédent ; les décrets ont été publiés, mais les universités (qui sont des établissements publics autonomes) ne sont pas encore prêtes pour préparer ces masters ; et ici et là on s’inquiète – y compris chez ceux qui, souvent avec raison, critiquaient les IUFM – de la perspective qui s’annonce de jeunes enseignants débarquant dans une école, un collège ou un lycée, sans autre formation que la connaissance universitaire de la matière qu’ils sont appelés à enseigner.

Impéritie, absolument ; réflexe idéologique aussi

La réforme territoriale

C’est dit-on le « chantier » du quinquennat.
Où en est-on ? Après le rapport Attali : pour alléger une administration devenue une vraie tout de Babel, avec ses multiples étages et ses difficultés d’harmonisation et de communication, le rapporteur suggère de supprimer les Conseils généraux ; puis après la grogne consécutive des élus qui, cumul des mandats aidant, sont souvent députés et conseillers généraux, voire présidents, on tranche en supprimant les conseillers généraux, mais pas les conseils généraux ; on crée des conseillers territoriaux qui siègeront à la fois au conseil général (département) et au conseil régional (région).

Bien sûr les collectivités y gagneront quelques centaines de salaires en moins, mais l’esprit de réforme : alléger le mille-feuilles des instances territoriales, ne s’y retrouvera pas. Au contraire, on créera de fait une instance supplémentaire : l’instance territoriale qui viendra chapoter la régionale et la départementale : mille et une feuilles donc.

Le seul avantage pour le parti au pouvoir, c’est le nouveau découpage électoral qui lui est associé et qui pourrait bien nuire à la gauche, laquelle est majoritaire en régions et départements.

Il y a là du pragmatisme ( bien regrettable), celui qui consiste à ne pas être impopulaire auprès des élus de sa propre majorité et qui conduit à abandonner un projet bienvenu de simplification administrative; et du machiavélisme : tout ce chambardement inopérant ordonné à des impératifs électoraux.;


A la question que nous avions naguère posée, Sarkosy, style ou méthode, s’ajoute donc aujourd’hui celle de la compétence réelle de nos gouvernants, des motivations qui les conduisent aux décisions, et de leur soumission inconditionnelle aux idées d’un seul.
Le peuple italien disait, enthousiaste, « Mussolini ha sempre ragione » ; Nadine Morano aujourd’hui à 13 heures sur la 2, plusieurs fois répéta : « Je crois en Nicolas Sarkosy »

Pragmatisme, oui ; machiavélisme, peut-être ; impéritie, hélas ; dévotion à coup sûr.

















dimanche 26 juillet 2009

Sérendipité

Qui a inventé les bêtises de Cambrai ? Bêtise, fort justement ; c’est un apprenti confiseur qui fit un jour, en 1830, cette bourde qui produisit par la suite le régal des gourmets et la réputation de la ville. Mais il n’est pas le seul à avoir fait de tels écarts au protocole : nombre de découvertes, parmi les plus fondamentales, ont été le fruit de l’écart, du hasard, de l’imprévu, de l’aléatoire ; ainsi de la pénicilline, des rayons X, de la découverte de l’Amérique (ce brave Christophe avait fait une sacrée erreur de sextant), de la plupart des antibiotiques et même du Viagra.


On peut aussi penser que l’invention de la roue, comme de l’écriture, n’est pas sortie d’un bureau d’études ou d’une planche à calculer ; et que lorsque Archimède a crié Eureka ! il cherchait hors des sacrosaints canons de la scientificité. Ce phénomène porte un nom, la sérendipité ; ne cherchez pas une étymologie grecque ou latine, ça vient tout bonnement des Contes des Princes de Sérendip (Ceylan en persan), spécialistes en la matière.

Or nous vivons aujourd’hui une période d’incertitudes, tant sur les plans social qu’économique ou même technique ; et toute « vérité » scientifique a comme nécessaire composante sa « falsificabilité » ; le doute cartésien refait vivement surface ; après l’époque des certitudes, initiée à la fin du XIX° siècle par le positivisme, ce que l’on appelle aujourd’hui le « postmodernisme » se nourrit de l’incertitude, de la pluralité, de la diversité

Paradoxalement, notre école et notre université, restent obnubilés par les programmes, les objectifs et plans de recherche, le pilotage, les évaluations, les rythmes, le nombre de publications … La fantaisie et l’imagination, le « délire » (délirer, étymologiquement c’est sortir du sillon) le temps que l’on perd à musarder (ce que Jacques Perriault a si heureusement nommé « Ecole buissonnière » n’y trouvent guère leur place.

Pourtant, un souffle d’air frais : des universitaires viennent d’accorder à la sérendipité une dizaine de jours de colloque sous l’égide du CNRS à Cerisy (source : Le Monde 26/27 juillet). Car on ne découvre pas toujours parce qu’on s’est fixé un objectif de recherche ; on n’apprend pas seulement ce qu’on s’est fixé comme programme d’apprendre, et cela mérite qu’on s’y attache quelque peu.

Je me souviens d’Alain Peyrefitte, ministre des universités en 1967, dire lors de l’inauguration d’un campus « on découvre beaucoup en regardant par-dessus le mur du voisin. » Un an plus tard, les murs, lui donnant raison, s’effondraient.

Laisser du champ, laisser galoper et même débrider ; prendre le temps de rêver, de méditer, d’ « estipuler » comme on dit en occitan, de sortir des ornières et sentiers battus, d’inventer et de fantasmer, voilà ce qui serait un beau programme pour l’Ecole et l’Université, quand aujourd’hui tout se passe comme si au plan éducatif et social, le projet politique relevait comme en informatique, du formatage. Formatez, formatez, il en restera toujours quelque chose.

Comme on est loin du principe d’Héraclite (VI° av JC.) : « Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas ». Vous avez cherché « Sérendipité » dans un dictionnaire ? Ajoutez-le, comme je viens de le faire, à votre glossaire personnel.

lundi 22 juin 2009

Sarkosy, style ou méthode ? ( texte recomposé et augmenté)

La gouvernance sarkosienne, manifestement, déroute par son caractère inhabituel ; elle déroute l’opposition, mais aussi la majorité qui a parfois du mal à suivre, à comprendre même tant les initiatives du Président sont nombreuses et inattendues ; elle déroute aussi l’opinion qui à défaut de repères sur la route suivie, se réfugie pour partie dans le refus radical, soit dans le suivisme inconditionnel, mais tout aussi conditionné que ne l’était celui des moutons de Panurge.

Toutefois, cela tient-il au style, ou à la méthode ? Le style, ce serait une manière d’être, voire de paraître, de s’afficher, de définir son identité ; la méthode ce serait un ou des principes de cheminement – stratégique – reconnaissables dans les voies empruntées pour aller d’un point à un autre [ ’ailleurs méthode, c’est meta (à travers) et odos (voie) ], c'est-à-dire pour conduire la réforme.

Le style d’abord : notre Président aime se montrer et paraître ; spontané ou délibéré, son style retient l’attention ; le bling-bling certes, mais plus généralement, un art de s’offrir à notre curiosité dans un mouvement incessant, à l’image de notre société du spectacle. C’est avant tout un homme spectaculaire : où qu’il aille, quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, il vient sur scène, jouant tantôt de la Commedia dell’arte, tantôt du tragique, tantôt du vaudeville, tantôt du drame composé ; il est alors Scaramouche, Britannicus, Monsieur Montaudouin, Ruy Blas ; à lui seul il est la Comédie humaine, dont les actes sont quotidiennement mis en scène.

Toutefois derrière ces personnages apparemment très différents (entre le « Casse-toi pov’con », le « Angela je t’aime », le « Avec Carla c’est du sérieux », le « Le capitalisme marche sur la tête » et « Il faut en finir avec les patrons voyous » … on notera de grands écarts en matière de niveaux de langue, tout comme de références situationnelles) existe-t-il un personnage critique englobant ses différentes manifestations ?

C’est certain, en tout cas probable ; l’individu Sarkosy, pour divers qu’il soit, n’en est pas moins un. Sa manière, sa façon d’écrire son personnage (son style donc), trouvent leur dénominateur commun dans le désir de plaire au plus grand nombre, à ces Français dont le style précisément est celui du « café du commerce », des petites histoires à dire chaque jour autour d’un pot, à se moquer des uns ou des autres, à se complaire dans des évidences ou des apparences, à se gausser de ceux qui pratiquent la masturbation intellectuelle, à se pâmer devant les gogos pleins de sous, de belles voitures, de jolies femmes et de villas en Corse.

Là, il faut reconnaître à notre Président un certain génie ; car dans ce style, il excelle, et semble-t-il le plus naturellement du monde ; comme d’ailleurs son prédécesseur lançait spontanément des « abracadabrentesques » ou des « une affaire qui fait pschitt ». C’est que la veine populiste l’inspire et qu’il est plus enclin à parler peuple qu’à s’exprimer comme Marie-Madeleine de La Fayette. Dans ce domaine, s’il y a rupture c’est plus avec François Mitterrand qu’avec Jacques Chirac, lequel comme on sait aimait fréquenter le « cul des vaches ».

Incontestablement, Nicolas Sarkosy, a un style ; même si ce n’est pas un grand style, ou du style tout court. Sa manière de se présenter et de se faire voir ou entendre n’a rien en commun avec celle de tous ses prédécesseurs de la V° République ; il faudrait probablement chercher hors de nos frontières, dans la Gaule cisalpine peut-être, chez un Mussolini ou un Berlusconi, de semblables manières de traiter l’apparence.

La méthode maintenant

La méthode, comme le style, a fait l’objet, dans notre histoire, d’éminentes études et de traités remarquables Citons seulement Le Discours de la Méthode de René Descartes (1633) et La Méthode d’Edgar Morin (6 vol. 1977-2008 ). Mais aussi, dans les années 70, se sont développés, dans le courant plus général de la cybernétique (littéralement : art de tenir le gouvernail, de gouverner) des travaux plus pragmatiques, comme les programmes PERT, le procédé des « chemins critiques », rendant à optimiser les procédures de décision et de mise en œuvre et d’évaluation de programmes.

PERT : Program Evaluation and Review Technic (Technique d’ordonnancement des tâches et contrôle de programme)

Globalement, on a distingué deux grands types de méthodes : les méthodes algorithmiques et les méthodes heuristiques.

Algorithmiques sont celles qui se définissent par une démarche de réussite, et qui permettent de parvenir à coup sûr à la résolution d’un problème ; l’exemple le plus simple est celui de la règle de multiplication : si on applique la règle on est sûr de ne pas se tromper ; heuristiques sont celles qui impliquent une part d’incertitude, un tâtonnement (pensons au fameux Euréka ! d’Archimède), une navigation à vue en quelque sorte ; l’exemple le plus couramment cité est celle du jeu d’échecs : aucune règle ne permet de gagner à coup sûr, car le joueur doit tenir compte, outre les procédures connues (coup du berger, par exemple), de paramètres variables et peu prévisibles liés à la stratégie propre de l’adversaire.

Les méthodes algorithmiques peuvent se dérouler dans le temps, les méthodes heuristiques se déroulent dans l’instant ; à la guerre comme aux échecs, le bon stratège est celui qui réagit vite et en même temps déroute l’adversaire en contredisant les prévisions qu’il a pu établir.

L’art de gouverner, on le voit, tient beaucoup plus de l’heuristique que de l’algorithmique ; tant au plan national qu’international.

Cependant, lorsqu’on peut relever des constantes dans les approches, alors on peut penser qu’il peut s’agir de la mise en œuvre d’un algorithme.

Nicolas Sarkosy, en l’occurrence, ne déroge pas à la pratique de tous les chefs d’Etat ; deux principes gouvernent leurs actions : diviser l’adversaire, triompher en cédant.

Diviser l’adversaire : cela semble bien la grande affaire du quinquennat. L’antisarkosysme dominant, y compris dans ses troupes, est inopérant devant une opposition divisée. Le cas des récentes élections au parlement européen en est un bon exemple : si l’opposition avait été unie, il aurait dû accuser une défaite écrasante. Mais comme il n’a eu de cesse de prendre des mesures ordonnées à déstabiliser et à diviser l’adversaire : débauchage, ouverture à gauche, ouverture au centre, procès d’intention, affirmations apparemment fondées mais en réalité mensongères, jeu de séduction envers les uns, de dénigrement envers les autres … alors en face de lui il ne rencontre que cacophonie et déchirements ; La Zizanie, de Goscinny et Uderzo en serait une assez bonne allégorie. Simultanément, il faut bien sûr tenir ses troupes, les fédérer, interdire toute forme de schisme.

A cela sont préposés deux des premiers couteaux du Président à l’UMP : Frédéric Lefebvre, porte-parole et Xavier Bertrand, secrétaire général. L’un spécialisé dans la polémique, l’autre dans la bonhomie.

Triompher en cédant : vieille procédure de la droite ; le principe en est le suivant : pour faire un pas en avant on en déclare deux ; la polémique, parfois virulente s’installe ; les flèches partent de tout côté ; tous les coups sont permis ; alors le gouvernement cède, il recule d’un pas ; l’opposition crie victoire ; c’est le Président qui a gagné ; même s’il fait semblant d’avoir perdu ; la fièvre tombe, on oublie tout, d’autant plus que la mobilisation se polarise sur un autre chantier. C’est ce qui est en œuvre dans les réformes Formation des enseignants, Réforme du lycée, Autonomie des Universités, Hôpital, loi Hadopi, travail du dimanche …
C’est une procédure risquée ; mais lorsqu’elle est conduite de façon systémique, et accompagnée de l’ouverture simultanée de plusieurs fronts, elle fonctionne assez bien.

Toutefois ces deux principes s’appliquent essentiellement à la vie politique formelle, celle qui relève des rapports entre l’exécutif et le législatif, ou entre le gouvernement et les syndicats ; or le plus souvent un troisième larron s’invite dans les débats, c’est le peuple. Dès lors aucun algorithme, aucun programme de chemin critique, ne garantissent le résultat. Il faut passer à la navigation à vue, à la procédure heuristique. Pour l’avoir ignoré, Juppé qui a voulu « rester droit dans ses bottes » a dû démissionner et Villepin a connu un échec cuisant avec le CPE. En revanche Sarkosy est passé maître en la matière ; pour cela il adopte la technique du double langage.


Deux exemples :

au sujet de la laïcité, il affirme à la fois (dans son Discours de Latran notamment) son attachement aux religions et à leur poids moral et politique, et son attachement à la laïcité ; il rend un hommage public aux victimes du vol AF 447 dans un église et il tient discours sur les valeurs de la République et la laïcité positive ;

au sujet de la crise économique : il vitupère contre le capitalisme qui marche sur la tête et sur les banquiers, mais il valorise l’enrichissement, favorise par le bouclier fiscal les très hauts revenus et refuse tout véritable plan de relance fondé sur le pouvoir d’achat ; en même temps il distribue quelques miettes aux démunis : le principe de charité, contraire à celui d’égalité, et cher depuis toujours à l’Eglise, est de retour.

Pour en parler vulgairement, il appuie donc alternativement et parfois simultanément sur le frein et l’accélérateur.

Truismes et rompe l’œil

A défaut d’un grand projet de société, d’une vision éclairée du futur, d’une définition d’objectifs et d’une approche prospective, le Chef de l’Etat se complaît – et croit nous plaire – dans des truismes et des mesures en trope l’œil.

Il glane, à gauche, à droite, au centre, tout ce qui constitue l’immédiateté sensorielle de notre imaginaire politique : je n’augmenterai pas les impôts, je ne vais quand même pas vous prendre plus de 50% de ce que vous gagnez, je vais vous débarrasser de la racaille, moi, les victimes ont quand même plus de droits que les assassins, les prisons françaises c’est la honte de la République, le capitalisme marche sur la tête, j’ai bien le droit d’avoir des amis (richissimes), tout le monde sait bien qu’il y a trop de fonctionnaires, et y a qu’à mettre les chômeurs au travail, en travaillant plus ils gagneront plus, l’égalitarisme produit une inacceptable inégalité, la liberté est notre bien le plus précieux …

Il propose des mesures qui semblent de bon sens mais en réalité masquent ou contredisent les principes que par ailleurs il dit affirmer.
Parmi celles-ci, deux exemples.

La formation des enseignants ; il clame haut et fort qu’il faut avoir des enseignants mieux formés et mieux rémunérés ; applaudissons ! Cependant la décision de les recruter à Bac + 5 (après le Master) non seulement n’est qu’un faux semblant puisqu’ils sont déjà recrutés à Bac + 5, mais encore masque le vrai projet qui est d’économiser pour les nouveaux enseignants recrutés une année de stage rémunéré. Si l’on voulait mettre en avant le recrutement au niveau Master, il suffisait de décréter l’équivalence du CAPES et du Master.

Le fameux emprunt annoncé à Versailles le 22 juin : on manque d’argent, le déficit de l’Etat est abyssal, on ne veut pas augmenter les impôts (c'est-à-dire les impôts des plus riches), alors on fait appel à la générosité intéressée des Français : on a baissé le taux de rémunération du livret A, venez, venez prêter de l’argent à l’Etat, à un taux bien plus intéressant. Mais l’expérience (emprunts Giscard, Balladur) mongre que ce type d’emprunt, qu’il faut bien un jour rembourser, non seulement coûte très cher à l’Etat (10 fois plus pour le Giscard) mais constitue un véritable impôt pour après-demain ; et comme on ne veut pas revenir sur le Bouclier fiscal, alors ce seront les classes moyennes qui paieront.

La méthode ? Dissimuler une véritable indigence et un déficit d’imagination politique en flattant l’imaginaire des électeurs


Peut-on dans ces conditions parler de « méthode » ? Pour en revenir aux programmes PERT, il conviendrait pour cela de remplir plusieurs conditions :

- afficher clairement les objectifs
- définir les voies alternatives pour les atteindre
- établir un « chemin critique », c'est-à-dire un choix raisonné et optimisé des démarches et des moyens
- procéder à des évaluations, en cours de procédure et terminales, effectuées par des institutions indépendantes

Manifestement ces conditions ne sont pas remplies (pas plus d’ailleurs qu’elles ne l’ont guère été par les gouvernements précédents).


Pourtant une méthode de gouvernement, déclarée, affichée, évaluée, reste la condition du fonctionnement démocratique. La République a besoin de démocratie, sinon elle devient monarchique. Le style, en politique comme dans la grande couture, ce n’est que l’habillage ; nous y sommes tous sensibles ; l’élégance, lorsqu’elle y est, reste une vertu qui rapproche les hommes et leur permet de surmonter bien des désagréments ; mais le style sans méthode, ce n’est qu’oripeau et sépulcre blanchi.
Et que dire lorsque le style est ce qu’il est ?

vendredi 24 avril 2009

Le Très Haut au G 20

Il fit des pieds et des mains, mais rien n'y fit ; il reste cependant le Très Haut
Et sa main droite porte plus bas que la gauche d'Obama.
Heureusement qu'elle a des chaussures à talons plats ; sinon, imaginez ...

mardi 21 avril 2009

Diplomatie : "Coup de tête/coup d'éclat

En réaction à nos "Au jour le jour " de dimanche 19 et lundi 20 avril, nous recevons ce texte d'un fidèle lecteur, André Berruer. Nous avons le plaisir de le publier ici avec son autorisation.


Coup de tête et/ou coup d’éclat : tout cela me semble calculé et divise encore plus les mondes "occidentaux chrétiens » et « islamisants » : chacun y trouve son compte au plan de sa politique intérieure. Parler de manière critique d’Israël ou du monde musulman est considéré comme une insulte : la liberté de pensée et la liberté de la presse en prennent encore un coup.
On confond à plaisir les Etats et les religions qui les sous-tendent ; les religions entretiennent l’agressivité des Etats. L’Etat d’Israël entretient un racisme dynamique envers le monde musulman –et plus particulièrement génocidaire envers leurs voisins palestiniens-. L’Iran entretient le même racisme envers la diaspora juive. Un Etat religieux –donc visionnaire- ne peut être qu’extrémiste et rejeter l’autre qui ne peut détenir la vérité. Eternelle opposition entre le civil/laïc et le religieux…

En la circonstance, l’erreur de casting est que le Comité préparatoire de l’ONU de cette conférence ait été présidée par Kadhafi – un grand humaniste !- ce qui ridiculise l’Organisation et son très discret Secrétaire général (qui a pourtant la chance d’avoir comme adjoint Douste-Blazy...). Les Etats dits « démocrates » partent de la conférence plutôt que réagir car certains se sentent en « porte-à-faux face à Israël. Mais ils accompagnent le gouvernement des E-U, financièrement soutenu par la diaspora juive…

Encore une conférence inutile –ce n’est ni la première ni la dernière- et des millions envolés sans retombées positives.

jeudi 5 mars 2009

Aide aux devoirs. Le "Scandale" ?

Automne 2007 : le ministre de l’Education Nationale fustige « les marchands de leçons particulières qui se nourrissent de l’angoisse des parents ». Mars 2009 : six élèves sur dix au collège ou au lycée ont recours à ce procédé ; les « aides aux devoirs », par cours privés, leçons individuelles, ou sur internet, font florès.

On trouve d’ailleurs des sites fort bien conçus auxquels participent des professeurs de collège et de lycée.

Le procédé n’est pas nouveau. Naguère, on appelait ça « le petit cours » ; tel enseignant de mathématiques, de langue vivante, de français … gardait – à titre onéreux – un petit groupe de ses élèves, parmi ceux qui avaient les moyens, pour revoir la leçon, préparer (ou faire) les devoirs. Le fin du fin, c‘était de faire des cours de « haut niveau » (la caractéristique traditionnelle du bon prof.) et donc d’alimenter ainsi la clientèle du « petit cours ».

On rencontrait ainsi trois catégories d’élèves : ceux qui comprenaient et se débrouillaient tout seuls (les très bons élèves) ; ceux qui y parvenaient quand on leur réexpliquait ( les bénéficiaires du « petit cours ») ; ceux qui ne comprenaient rien à rien (les mauvais élèves). Tout donc était dans l’ordre.

De nos jours les choses sont moins simples : des mots d’ordre ont traversé le monde des élèves : égalité des chances, discrimination positive, réussite pour tous … Et on ne saurait tolérer ouvertement cet « enseignement à deux vitesses » dont je viens de parler. Néanmoins le fond de la question reste bien la même : de nombreux élèves (au moins les 6 sur 10 que nous avons mentionnés) ont besoin d’aide supplémentaire : le « cours » ne leur apporte pas suffisamment d’éclairage sur ce qu’ils doivent apprendre et à partir de quoi ils doivent faire leurs devoirs, qui eux, seront notés ; lesquelles notes constitueront le viatique de leurs cursus scolaire.

Alors on a recours à des aides extérieures, organisées par des « officines » spécialisées, mais où exercent bien sûr des enseignants du service public. Le système du « petit cours » fonctionne toujours. Jusque là, personne ne trouve guère à redire ; ou ce ne sont que bruits de sabre.
Mais le scandale vient de se produire ; non seulement on aide les élèves à faire leurs devoirs, mais on les fait à leur place. Comment ça se passe ? Vous vous connectez sur faismesdevoirs.com ; vous vous inscrivez (moyennant finance), vous donnez le sujet du devoir et 48 heures plus tard vous recevez le sujet traité ; succès garanti. On peut même moduler la qualité du produit en fonction de la note qu’on veut obtenir. Passer d’un 6/20 à un 19/20 pourrait paraître suspect, alors on commencera par un 9, puis un 11 etc… afin de susciter les appréciations louangeuses des profs qui noteront avec ravissement les progrès effectués, le travail fourni, la maturité enfin retrouvée.

Mais où est le scandale ? Souvenons-nous que le journal La Dordogne libre du 27 mai 2008, rappelait des faits survenus en 1982, sous le titre « Le sandale du bac ». Un professeur de lettres (qui ne savait pas encore qu’il deviendrait ministre ) avait donné à faire dans son « petit cours », à un tout petit groupe d’élèves, le sujet du bac ! L’affaire fut d’ailleurs portée au tribunal (revoir notre Au jour le jour du 29 juin 2008).
Mais, mis à part ce fait particulièrement grave, combien de parents « font » ou contribuent à faire, les devoirs à la place des élèves ? Les plus avantagés évidemment ce sont les fils d’enseignants (dont on sait qu’ils ont le taux de réussite le plus élevé aux examens).

Le scandale ne serait-il pas ailleurs ?

Comment peut-on tolérer qu’un système d’enseignement ait besoin d’un parasystème pour assurer la réussite des élèves ? Comme si en sortant de l’hôpital, vous deviez aller vous faire soigner à vos frais par le même médecin ou un autre.
C’est que l’école vit encore sur des archaïsmes que personne ne veut ni corriger ni même voir. La manie de la notation d’abord, qui sert essentiellement à classer les élèves, quand les objectifs officiels ont la réussite pour tous. Ensuite le travail de production de l’élève externalisé par rapport au cours, quand – tous les professionnels le savent - seule une « évaluation formative » et un suivi individualisé en cours de travail peuvent permettre la qualité de la production (le « devoir ») de l’élève.

Tout ceci vient de loin ; on ne changera pas les choses en « mastérisant » la formation des enseignants et en les envoyant aussitôt dans les établissements, avec comme seules références celles des profs qu’ils ont eus quelques années auparavant et celles des quelques jours de stage auprès de collègues qui continuent – pour nombre d’entre eux – à enseigner selon des principes surannés.

samedi 7 février 2009

Magie de l'écriture



En hommage à Roland Barthes, qui me fit un temps l’honneur de son amitié.
Amoureux du texte, magicien de l’interprétation, incomparable créateur, linguiste, sémiologue.


Pourquoi dit-on d’un texte qu’il est beau, qu’il nous plait, qu’il est suggestif ? Et le beau, le plaisant, le suggestif, cela a-t-il encore un sens dans ce monde traversé par le mal de vivre, le mal vivre, les injustices, les révoltes, le malheur parfois ?

Pour tenter de répondre à ces deux questions, je me fonderai sur deux brefs passages, l’un extrait de Voyages intimes de Marie Bietry (éd. La Bruyère) paru dans la Lettre de La Toulzanie, n° 3, Hiver 2009, l’autre légendant une photographie parue dans cette rubrique en guise de vœux de Bonne Année, et où je m’inspirais du texte d’Alphonse Daudet : A l’affût.


1) Le texte de Marie Bietry : Rocher

"…taillés au hasard par l’usure du temps, des visages de pierre se distinguent ; ils surgissent brusquement puis disparaissent quand on les recherche pour enfin se montrer tels qu’ils sont : inachevés ou blessés, amputés de leurs yeux, de leur nez, comme si des siècles hurlaient ici la souffrance des hommes. Ils crachent parfois des morceaux de cailloux qui s’abîment sur la route, en contrebas, expectorant ainsi haines et douleurs. Mais pour qui sait les voir, que de tendresse, d’amour même et d’heureuse nostalgie naissent alors dans le regard qui les embrasse."

Transcendance du regard

L’auteure décrit les falaises qui surplombent le village de La Toulzanie. Si l’on s’en tient aux mots, sur la cinquantaine de termes, il n’en est guère que trois qui « décrivent » : visages de pierre, cailloux, route. Les autres nous entraînent dans l’interprétation, le ressenti, le vécu personnel, l’intime, le subjectif ; l’objet regardé n’est appréhendé qu’au travers du prisme du sujet regardant. L’auteure ainsi nous guide sur la voie d’un imaginaire, transcendant et transformant la matière pour mieux lui donner du sens. « Dire le monde, c’est dire soi ». Ainsi le lecteur est-il convié au banquet de la fable, (Lector in fabula, selon Umberto Eco)

Maîtrise et volupté des techniques d’expression du sujet

Jeu alternatif sur le personnel et l’impersonnel : « Des visages de pierre se distinguent » ; l’emploi de la forme réfléchie fait de l’objet un sujet : « On distingue des visages » se transforme en « Des visages se distinguent » ; dès lors les rochers s’animent : « Ils surgissent […] disparaissent […]ils crachent … » . Mais le promeneur (ON = c’est vous , c’est moi ; entre, lecteur, dans mon je) lui aussi ressurgit : « On les regarde […] tels qu’ils sont » ; puis s’évade dans l’interprétation : « Comme si des siècles hurlaient … ».

Lorsque la violence se déchaîne : les rochers hurlent, crachent, expectorent, pour dire la souffrance des hommes, les haines et leurs douleurs, alors c’est eux qui disent le sens de ce que le regard en eux décèle.

Puis une scène d’amour entre les deux protagonistes : l’auteure et les rochers ; la femme sensible et les mâles rochers : amour, tendresse ; l’amour par le regard, qui les embrasse.



Maîtrise des techniques du rythme et de la fluidité de la phrase

Prédilection pour des rythmes ternaires, qui, selon leur structure ou la position dans la phrase (début ou fin), enveloppent et soulignent le sens dans la dimension de l’oralité.
« Taillés / au hasard / par l’usure du temps » ; rythme saccadé : 2 / 3 / 5, qui évoque le coup du burin, le tâtonnement du sculpteur, le lent travail de polissage et la dimension millénaire de l’ouvrage.

« Naissent alors / dans le regard / qui les embrasse » ; rythme fluide, équilibré : 3/3/3, qui évoque, à la différence du passage précédent, la quiétude retrouvée, l’harmonie qui s’exprime, le bonheur dans l’épaisseur du temps : « heureuse nostalgie ».


Ce texte présente un face à face entre deux sujets, tour à tour violent et tendre, craint et désiré, éternel et éphémère, dans une langue riche, subtilement maîtrisée, qui tel le regard de l’auteure, embrasse le lecteur.

2) Le texte de Bonne année

"De la fenêtre de ma chambre, je vois ce paysage lotois ; le fleuve éternel qui coule ; la neige qui revient, "la lumière atténuée qui fuit dans l’eau". Je voudrais vous faire partager ce plaisir. En vous disant aussi BONNE ANNEE !"

Je m’attacherai simplement à ce fragment mis entre guillemets : « la lumière atténuée qui fuit dans l’eau » ; entre guillemets car c’était, me semblait-il, une réminiscence du texte d’Alphonse Daudet : A l’affût, dans Les lettres de mon moulin. Vérification faite, le texte de Daudet est légèrement différent : « la lumière diminuée réfugiée dans l’eau » ; atténuée au lieu de diminuée et qui fuit au lieu de réfugiée.

On pourrait donc produire, à partir de ces deux premiers textes, un troisième texte : la lumière diminuée qui fuit dans l’eau.

Pourquoi, selon moi, ce troisième texte me plairait-il plus que les deux autres ?
Car, à une nuance près, la chose évoquée est bien la même ; le « plus » ne saurait donc être dans la représentation de l’objet décrit, mais dans la forme de cette représentation.

Qu’est-ce qui donc, de ce point de vue, les différencie ?
C’est la séquence des voyelles : a/ u / i / è / e / é / a / o. Il s'agit d'un texte essentiellement vocalique : 18 voyelles (16, si on dit eau = o), contre 9 consonnes (8 si on élimine le t muet de fuit) ; un rapport de un sur deux, exactement. Toutes les voyelles de l’alphabet sont présentes. C’est donc, au plan de sa sonorité, les voyelles qui sont les plus importantes ; je dis sonorité car pour un lecteur normal, la lecture silencieuse elle-même n’est pas pour autant muette, les sons correspondant aux lettres, évoqués et non prononcés, sont toujours là.

Dans la séquence reconstituée à partir des deux premiers textes, et qui en constitue en quelque sorte la fusion, la séquence des voyelles est la suivante : a, u, i, è, e, i, i, u, è, u, i u, i, a, o. On a donc une majorité de voyelles fermées (u, i, é) et une minorité de voyelles ouvertes (a, è, o). Les voyelles fermées donnent au texte sa légèreté et son mouvement, comme une séquence de tons aigus, une vocalise, évoquant le vol léger d’un oiseau au fil de l’eau, où finalement il se pose. Le o final termine la séquence, ouvert pour accueillir le vol léger de la lumière qui vient s’y anéantir : la lumière diminuée qui fuit dans l’eau, une « bouffée » (c’est un terme employé par Roland Barthes) pour évoquer, au plus profond de notre être la fin du jour.

Les deux autres textes (atténuée / réfugiée) avec leur majorité de é, n’offrent au lecteur ni le même tempo, ni la même élégiaque mélodie, comme le cri (le cui cui) d’un oiseau qui chante au soir qui tombe.

Dans ce texte, une évocation visuelle (le sens des mots : le soir qui tombe) et une évocation sonore (le « bruit » des mots : la séquence mélodieuse des voyelles) sont indissociablement tissées pour construire la représentation de ce moment du jour, si abondamment chanté par les écrivains, mais ici en raison de ce double « envoûtement », fait « beau ».


Roland Barthes, qui ne l’a pas entendu, dans ses conférences, ses cours, ses propos toujours rares et précieux, ne peut imaginer ce qu’est la magie réelle de ses textes. Il parlait ses textes, il en faisait, comme il aimait dire, des « bouffées », c’était son souffle à lui, sa respiration ; il avait à la fois le sérieux appliqué d’un écolier (ses conférences étaient toujours écrites à la plume) et cet art de la transformation du mot écrit en bouffées fascinantes de sens. « Il faut donner l’intime et non le privé ». L’intime c’est le rapport à soi. Dans les deux textes que j’ai osé - peut-être ai-je failli - analyser, je retrouve avec une bouffée de joie, l’intime.

mercredi 21 janvier 2009

Réformer l'éducation



Le Président Sarkosy vient de montrer, dans son discours de Saint Lo, le 12 janvier, sa détermination à conduire une réforme de l’éducation ; il a dit qu’elle était nécessaire, mais il n’a pas dit pourquoi, comme si cela allait de soi, ou encore que, à l’évidence on ne pouvait pas réformer le pays sans en réformer l’école.

Pense-t-il vraiment que c’est en concertation avec les lycéens que l’on en trouvera les fondements et les modalités ; ou cherche-t-il simplement une ligne de fuite destinée en premier lieu à calmer la grogne ? Car on sait bien qu’il est assez facile de mettre les étudiants dans la rue, mais qu’il est beaucoup plus difficile de les faire rentrer. Il est bien plus facile de stigmatiser des grévistes ou des manifestants enseignants ; et ni lui ni XD ne s’en privent …

Néanmoins, une réforme du système éducatif, qui correspond au premier budget de la nation, ne devrait pas se concevoir sans un certain nombre de principes directeurs, avec les quels on ne saurait transiger, au demeurant mis en évidence depuis plusieurs décennies par les universitaires et les experts.

Globalement ils sont au nombre de cinq :

- se fixer comme objectif premier l’égalité de résultat, et non l’égalité des chances, principe qui depuis Philippe Pétain qui en fut « l’inventeur » n’a induit que des inégalités. L’égalité, deuxième pilier de notre devise républicaine, était déjà conçue par Condorcet en termes d’égalité réelle et non seulement formelle. Les sociologues Bourdieu et Passeron ont analysé ce phénomène en termes de « reproduction » : le système éducatif tend à reproduire le système existant des hiérarchies sociales (La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, 1970 ); de leur côté les neurophysiologues (Changeux, Prochiantz) ont plus récemment montré qu’il n’existait aucun déterminisme génétique dans les facteurs de réussite ou d’échec scolaire ; de nombreuses études en revanche ont montré qu’il existait bien un « déterminisme socioculturel », lequel offrait plus de chances aux enfants issus de milieux cultivés. L’égalité des chances serait donc un leurre. Si on veut réformer le système éducatif il faut d’abord établir le principe d’égalité réelle de résultat, à savoir que tous les élèves peuvent (individuellement) et doivent (impératif social) réussir.

- considérer l’acte éducatif comme un acte de communication, et délaisser (plus exactement laisser à sa place) la fixation obsessionnelle sur les contenus et les programmes. Non que les programmes soient inutiles ou périmés, mais qu’ils sont sans valeur si les élèves ne les assimilent pas. La plupart des difficultés des élèves, notamment dans le plus jeune âge, sont liés à des difficultés non pas d’apprendre, mais de comprendre, c'est-à-dire de donner du sens aux textes scolaires, aux consignes, aux démonstrations, aux explications … De là tous les phénomènes que l’on commence maintenant à analyser en termes de « décrochage scolaire » et qu’auparavant on nommait parfois « refus scolaire ». On comprendra aisément que décrochage et refus ont comme conséquence l’échec. Or l’idéologie dominante, issue d’un vieil héritage théocratique, selon laquelle l’enseignement est transmission et révélation, invalide toutes les tentatives de prendre en compte les représentations, la culture (ou l’inculture) préexistante de l’élève. Enseigner c’est d’abord travailler sur des signes (et non des matières), c’est « ensigner ».

Les procédures de soutien, de remédiation, de « discrimination positive » ne sont que cautères sur jambes de bois ; considérer qu’il y a des « élèves en difficulté », occulte la réalité scolaire : ce ne sont pas les élèves qui sont en difficulté, c’est être élève qui est difficile, car c’est un « métier » (Voir notre Métier d’élève, Hachette) .

- dans l’histoire de nombreuses conceptions de l’éducation scolaire se sont succédé ou même ont été mises en compétition ; de nos jours les experts ne sont pas toujours d’accord entre eux ; des préférences préalables orientent parfois leurs approches (Nietzsche a précisément analysé ce phénomène, qui concerne tous les domaines scientifiques, dans Le gai savoir) mais cela ne remet pas en cause leur expertise : il y a plusieurs bonne façons de concevoir et de construire un pont, de même il y a plusieurs bonnes façons de concevoir et de gérer un système éducatif.

Les politiques devraient d’abord s’appuyer sur des groupes d’expertise (et pas seulement ceux dévoués au pouvoir comme les Inspecteurs Généraux) lesquels fourniraient des scénarios alternatifs, comportant aussi leur volet économique (comme le fait l’’Institut de Recherche sur l’Economie de l’Education, du CNRS, rarement consulté, moins encore suivi dans ses propositions) à partir desquels des choix politiques et des négociations sociales pourraient s’engager.

- la formation des enseignants (initiale et continue) est l’instrument premier de toute réforme ; quels que soient les points sur lesquels porte une réforme, il faut évidemment que ceux qui la mettent en œuvre maîtrisent les différents paramètres par quoi s’exerce leur métier. Or les décisions annoncées ne correspondent en rien à cette exigence. La suppression des IUFM en est la première négation. Les mesures envisagées (stages en cours de master 2) permettront certes aux postulants de se familiariser avec la réalité de la classe vue du côté de l’enseignant, mais n’apporteront que peu de chose en matière de professionnalité, laquelle ne peut s’acquérir que par un équilibre raisonné entre la théorie et la pratique d’une part, l’analyse critique des pratiques de l’autre. En outre une véritable réforme de l’éducation appelle des compétences nouvelles ; comment peut-on imaginer faire du neuf avec des savoir faire anciens ? Celles-ci sont exigibles non seulement des nouveaux enseignants mais surtout, numériquement parlant, des enseignants en exercice ; la formation des enseignants en exercice devrait donc revêtir un caractère de priorité ; or, loin de là, ce sont ces enseignants qui vont avoir en charge la « formation » des nouveaux.


- changer en éducation est particulièrement difficile ; le corps enseignant est composé de près d’un million de cadres soucieux d’une autonomie et d’une indépendance qui fit de tout temps leur fierté, et en même temps investis d’une mission nationale dont les principes restent dans leur représentation collective toujours inspirés des lois fondamentales des gouvernements Gambetta. Soucieux et sourcilleux, mais aussi particulièrement consciencieux (une récente étude sur l’absentéisme au travail montre que contrairement à ce que certains ont voulu accréditer, les enseignants font preuve de présentéisme ( L. Janot et N. Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin 2008). Non seulement une réforme ne doit pas être présentée « contre » les enseignants (même si c’est contre certaines de leurs pratiques) mais elle doit être conduite « avec » les enseignants. Des démarches participatives ont été expérimentées avec un succès général, dans des domaines sectoriels par les « recherches-actions » mises en oeuvre par l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP), d’une façon générale dans le cadre de la rénovation des collèges pilotée par le ministère d’Alain Savary. Dans ce domaine deux règles fondamentales devraient être respectées : on passe toujours de l’exemple à la règle, et non l’inverse ; on ne change pas, comme l’a montré Michel Crozier, la société par décret ; on ne la change pas non plus sans décret. Il faut savoir légiférer, mais au bon moment.


Cinq principes donc : l’égalité de résultat et non l’égalité des chances comme objectif ; l’acte éducatif comme acte de communication; la constitution et la consultation de groupes d’experts ; l’incontournable formation des enseignants ; le changement avec et non contre les enseignants. Ils se situent à un tout autre niveau que les « points de convergence » qui ont donné l’illusion qu’un accord pouvait exister entre les différents partenaires ministériels et sociaux, et pourraient être matière d’un vrai débat parlementaire sur les perspectives de l’éducation au XXI° siècle.



P.S. si l’un de mes lecteurs a l’oreille de XD, je l’autorise bien volontiers à lui remettre ce texte ; il se souviendra peut-être qu’il était membre des équipes d’animation du CDDP (Centre départemental de Documentation Pédagogique) de Périgueux, lors que j’étais directeur du CRDP d’Aquitaine.

dimanche 4 janvier 2009

La crise et la monnaie

Eric Woerth, Ministre du Budget, faisait le point ce matin, 4 janvier, sur Europe 1 au sujet de la réalisation du budget 2008 ; en raison de la baisse de l’activité, le manque à gagner de recettes fiscales lié à la baisse de l’activité économique serait de onze milliards environ ; portant ainsi le déficit budgétaire à 57 milliards ; heureusement, selon le même, l’hôpital n’a pas besoin de plus d’argent, simplement d’une réorganisation ; et selon le Ministre de la santé, Roselyne Bachelot, il n’y a aucun manque de lits de réanimation, question d’organisation là aussi.

Tous ces milliards d’€ avec lesquels on joue, et ceux que les banques ont perdu, ceux qu’on leur a prêtés, ceux que l’on va prêter aux entreprises dans un plan de relance, dont on dit d’ailleurs qu’il est bien trop modeste, ça se vit dans les hautes sphères de la macroéconomie ; c’est la cour des grands ; nous les (vraiment très) petits, on jongle, dans une autre cour, avec six, voire sept zéros de moins.

On vient de me citer les cas d’une vendeuse qualifiée de confection, avec une ancienneté de 25 ans, qui, à la suite du rachat de l’entreprise par un groupe japonais, a vu son salaire réduit à 1.000 € nets, les heures sup. non payées, les exigences de performance augmentées, la qualité des produits étant par ailleurs diminuée. Ce sont pourtant ces gens qui produisent la richesse d’un pays. et ils sont légion.

D’où vient la « crise », faut-il le répéter ? Non des travailleurs, modestes et qui assument tous les risques, mais de ceux qui jouent avec l’argent des autres, pour en gagner de façon économiquement périlleuse et socialement scandaleuse.

Deux prix Nobel, Irving Fischer (USA) et Maurice Allais (Fr.) attirent notre attention sur la gravité structurelle (et non conjoncturelle) de la crise : les banques en prêtant plus d’argent qu’elles n’en avaient, ont créé de la monnaie, ce qui est le rôle des Etats et des banques centrales ; monnaie vaine, fictive, qui ne correspond à aucune valeur ni marchandise, une contre-façon en quelque sorte, un erzats ; d’où lorsque le vase déborde, catastrophe ! Le château de cartes s'effondre, et surviennent faillites et récession économique. (source site ADED)

Mais les Etats qui renflouent les banques, alors que « les caisses sont vides », où prennent-ils ces milliards ? Elémentaire, mon cher : ils hypothèquent notre travail, qui donc selon toute logique, doit donc être payé moins. Nous devrons donc encore travailler plus pour que les magnats de la finance ne gagnent pas moins. Voilà donc le « monde nouveau » par Le Suprême à nous promis.