
mercredi 31 décembre 2008
Bonne Année 2009 !

samedi 13 décembre 2008
Le Temple de tous les dieux / Rome, Le Pantheon

Nous sommes assis à la terrasse d’un restaurant, Piazza Navona ; le taxi nous a laissés Piazza della Rotonda ; nous voulions revoir le Temple de tous les dieux ; puis nous avons flâné, amoureusement ; de cet amour par quoi aussi nous aimons Rome.
Ce matin, j’aime le Pantheon en ce qu’il m’apparaît. Qu’on ne m’en dise rien ; ni de son origine, ni de ses transformations, ni des étapes qui l’ont réduit de temple du panthéisme à basilique du monothéisme ; rien ; il porte en lui-même, haut de ses seize colonnes monolithes, une immense épaisseur. Je vois le temple, je vois les sept chandeliers de l’autel, le tombeau de Victor-Emanuel, père de l’Italie, celui de Raphaël, le marbre polychrome, et les rouges lunules semblables à celle qui signale le sacre de Charlemagne à Saint-Pierre en Vatican ; la coupole et son oculus où tombe la pluie en temps d’orage, qui recueillie sur le pavement s’écoule dans les vingt-deux orifices pratiqués dans le marbre.
Le serveur me dit : « E poi dopo ? » - “Un tiramisù, un gelato e due caffè !”
Le Café lungo du Bernini a la saveur dolce-amara des meilleures choses de la vie
Balzana me dit : « Tout était excellent aujourd’hui, le Martini, la pizza, le vin, le tiramisù … »
- « Et l’amour ? dis-je »
- « Toujours, répond-elle, sauf quand tu me fais des infidélités avec les belles Italiennes »
Balzana joue sur ce registre pour me faire plaisir ; une façon de me dire que pour rien elle ne voudrait me partager ; elle fait semblant de se faire peur ; elle sait bien qu’elle est le seul objet – le seul sujet – de mon désir. Je pense – du moins je crois – qu’elle m’aime, quand elle dit sa jalousie, dont elle sait pourtant que rien ne saurait la motiver ; aussi que je suis jeune, beau et séduisant ; même si c’était hier.
En amour, comme au Pantheon, le temps s’agglutine et s’efface.
C’est ce même vertige qui tant, Piazza Navona, ou au Pantheon, ou au Colosseo, au sous la Colonnade du Bernin au Vatican, me plait. .
Nous sommes assis au restaurant Il Bernini ; ici, le temps ne passe pas, il est, il demeure.
L’ombre se déplace, les nuages poméridiens fondent le blanc lumineux des fontaines dans l’ocre des palais.
Un cycliste passe en sifflant L’Internationale ; un groupe du troisième âge s’étire derrière un guide signalé par un fanion.
Un bruit de voix – un vocîo – un rire, des mots qui s’échappent ; comme une rumeur qui monte, atténuée par les ans, du cirque de Domitien.
mardi 4 novembre 2008
Dieu et au delà (4)
Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
(Jean de La Fontaine)
Les sociétés cherchent le père. En période difficile, là où la crise menace, où l’économie s’effondre, où les inégalités se creusent, où les citoyens « ne savent plus à quel saint se vouer » ; c’est, près de nous, Pétain, Mussolini, Franco, Hitler, Mao, Staline (« le petit père des peuples ») ; mais aussi De Gaulle, Churchill ; et encore Barak Obama.
Pas seulement en temps de crise ; notre monde, occidental ou non, hiérarchisé, est ordonné autour des chefs, élus, autoproclamés ou héréditaires ; le Prince de Machiavel, quelle que soit la façon dont il est devenu prince, en est l’archétype : le Secrétaire de la cité florentine ne disserte pas sur l’exercice et les finalités du pouvoir, mais sur la façon de le conserver.
Les princes sont mortels ; leur état, comme leur vie, sont éphémères ; même s’ils se font nommer « présidents à vie ». Ils sont notre recours et en même temps l’objet de noter vigilance critique.
Un seul échappe à cette triste condition des mortels, c’est Dieu. Ainsi Dante, dans la Divine Comédie : « Partout est son empire, et ici (au Paradis) son royaume ». Le grand avantage de Dieu sur les hommes qui exercent, en son nom ou pas, le pouvoir, c’est qu’il est immortel. Les Duce, Caudillo, Führer, Timonier, Guide, Président … passent, il reste.
Pourquoi chercher le père ? Et le chercher hors de notre monde ?
Victor Hugo, dans les Contemplations, s’élève contre cette recherche de notre salut hors de ce monde : « Pourquoi donc faites-vous des prêtres, quand vous en avez parmi vous ? » Mais ceux là précisément sont mortels, ils partagent notre condition, ils portent en eux les caractéristiques mêmes du provisoire, du conjoncturel, de l’existentiel et donc de l’inessentiel. Aussi bien les Rois de France étaient-ils tels par la grâce de Dieu, sacrés à Reims, héréditaires comme marque de la pérennité (éternité) génétique. « Le roi est mort, Vive le roi !» Mort dans son existence, non dans son essence.
Les rois sont morts ; Dieu aussi est mort dit Nietzsche ; mais il reste, comme forme suprême (l’Etre suprême de Robespierre) du sommet de notre hiérarchie sociale ; virtuelle certes, mais non moins réelle.
Le monothéisme ( le dieu des juifs, des chrétiens, des musulmans) a ceci de rassurant qu’il institue le culte du père ; ce culte nous apporte la sécurité, nous enseigne la morale, nous montre la voie. Le Catholicisme, qui conjugue la présence virtuelle de Dieu et sa « présence réelle », avec les rites de l’eucharistie et de la communion, la rédemption par le sacrifice du Christ, la croyance dans l’intercession de la Vierge et des saints, devient donc notre recours, inconscient ou délibéré, implicite ou explicite. Nous connaissons de nombreux exemples de personnes non pratiquantes, mais baptisées (par tradition), qui néanmoins désirent avoir des obsèques religieuses (ce fut le cas de François Mitterrand).
Le dogme catholique apporte deux types de réponse à notre recherche du père.
Le premier est que le père, précisément c’est Dieu.
Credo : « Je crois en Dieu le père tout puissant »
Pater : « Notre père qui êtes aux cieux »
Christ-Roi : fête liturgique célébrée le dimanche précédant Toussaint et marquant la fin de l’année liturgique
Ce père est « tout puissant », « créateur du ciel et de la terre », il est le seul en charge de la vie sur cette terre. (Benoît XVI, lors de son récent passage en France : « Ce monde que Dieu nous a confié »( et dont il reste donc le maître)
Ce père est unique :
Credo : « Credo in unum deum » qu’il faut traduire, « je crois en un dieu unique »
Commandements de Dieu (dans l’ancien testament) : « Un seul dieu tu adoreras … »
Le monothéisme, à la différence du polythéisme, n’admet aucun partage du pouvoir. Ce fut la querelle de l’arianisme (III° siècle), doctrine selon laquelle, dans la conception de la Trinité, le Père est supérieur, et non égal au fils ; ce qui d’ailleurs paraît évident à la lecture des évangiles, et dans la tradition du Pater : « Notre père qui êtes aux cieux, que votre volonté soit faite ».
Le troisième commandement interdit également de prononcer sans respect le nom du Seigneur : « Dieu en vain tu ne jureras … ». Là se trouve d’ailleurs l’origine du mot « Juron ». Dans nos campagnes autrefois, lorsque nos ancêtres paysans voulaient manifester leur mécontentement ou leur agacement, ils provoquaient Dieu, dans leurs dialectes, en l’appelant de tous les noms, voire en l’associant à une myriade polythéiste : « Nom de Dieu ! », « Putain de Dieu !», « Chien de Dieu !», « Bordel de Dieu ! », « Mille dieux ! », « Bordel de Dieu, de mille dieux ! ». Au point d’ailleurs que certains, par crainte de représailles divines, ou plus probablement pour sauvegarde des apparences, juraient de façon atténuée : « Mille dieux devenant « Mille deux », ou pour être plus clair « Mille un » ; C’est ainsi que « Par le sang de Dieu » est devenu « Palsambleu » et « Par Dieu », « Parbleu ».
Cette pratique fréquente des jurons (chez les hommes surtout, car le père éternel est aussi le concurrent du père ; les femmes se contentant, au pire d’invocations interdites par les Commandements : « Macarel » - en occitan « Maquereau » - ou « Puta » - en occitan « Pute ») offraient l’avantage du défoulement par la conjuration du sort, et surtout celui d’une matière simple à confession, pour le jour de Pâques :
- « Pardonnez-moi mon père parce que j’ai pêché »
- « Je vous écoute mon fils »
- « J’ai juré contre Dieu »
- « Combien de fois ? »
Et là, il fallait bien mentir ; ce qui donnait l’occasion de la deuxième rubrique dans l’aveu des péchés.
Mais quelle sécurité !
Dieu le père, notre unique référence.
Le deuxième type de réponse est que ce Dieu nous montre la voie et apporte remède et consolation.
Jésus: « Ego sum via, veritas et vita » (Je suis le chemin, la vérité et la vie) ; trois pôles fondamentaux où s’ancrent nos angoisses et se dessine l’espérance. Le chemin : c’est celui qu’on emprunte pour passer de la vie à la mort, celui sur lequel nos pas nous conduisent en toute circonstance, celui qui seul peut conduire à la vie éternelle. La vérité : elle est une et unique ; tout à l’opposé du monde angoissant de Pirandello (A chacun sa vérité), Jésus nous indique le vrai, dont il est le modèle ; vivre vrai : ne pas vivre dans le mensonge,dans l’erreur, dans l’incertitude. La vie : la vie que ne vient pas contrarier la mort, c’est la vie éternelle de l’âme dans la béatitude céleste (Saint François d’Assise – Cantique des créatures – Heureux ceux qui vivent dans votre très sainte volonté car la mort seconde (la mort de l’âme) ne saurait leur nuire)
Les Evangiles de Luc et de Mathieu dans leur relation du Discours sur la montagne, nous rapportent ce qu’il est convenu d’appeler les « Béatitudes » : « Heureux ceux qui … » et qui constituent un mode d’emploi de la préparation à la vie bienheureuse.
Les 6 Commandements de l’Eglise, prolongement des 10 commandements de Dieu, sont longtemps restés une référence pour les rites qui balisent notre existence : respecter les fêtes ; assister à la messe le dimanche ; se confesser au moins une fois l’an ; communier à Pâques ; observer le jeune ; ne pas manger de viande le vendredi et le samedi « mêmement ». Certains de ces préceptes sont aujourd’hui négligés, mais d’autres restent bien vivants : observance des fêtes (y compris dans leur version païenne ou laïque) messe du dimanche, confession, communion. Leur observance apporte encore, au-delà des marques de la bienséance, un sentiment de devoir accompli et de sécurité.
Au-delà des gratifications spirituelles, l’église aussi apporte l’espoir de satisfactions ou de consolations d’ordre matériel.
Pater : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ».
Jésus : « Regardez les oiseaux du ciel ; ils ne sèment ni ne moissonnent ; votre père céleste les nourrit » ; c’est la version moderne de la « manne » biblique, censée tomber du ciel.
Jésus ressuscite aussi les morts (Lazare), guérit les paralytiques (Lève-toi et marche !) rend la vue aux aveugles ; Marie encore de nos jours fait des miracles, à Lourdes et ailleurs , les saints manifestent leur présence et leur pouvoir par des manifestations observables (Padre Pio).
Toute une morale, au sens de guide de vie, s’est constituée autour de la religion, qui, dès lors, ne concerne plus la vie dans l’autre monde, mais notre existence sur terre, telle qu’elle puisse nous donner l’espérance de la vraie vie. Les miracles sont là pour nous prouver la « présence réelle » de Dieu parmi nous, son pouvoir, ses attentes.
La morale laïque a-t-elle chassé, supplanté la morale religieuse ? On aurait tort de le croire. Toute notre vie sociale [organisation de la semaine, problème du travail du dimanche, observance des fêtes ( Noël, Fête des rois mages, Pâques, Pentecôte, Ascension ) , respect des rites initiatiques (baptême) ou viatiques (obsèques), présence des croix, des calvaires, des reposoirs, des clochers, dans nos campagnes et nos villes … ] porte encore la marque de la religion.
Il y a là comme une réponse à notre quête sur la conduite de la vie et le mystère de la mort ; même quand on s’en détache, agnostique ou athée, c’est dans le cadre de la religion que ce détachement s’opère. Volens, nolens, c’est notre pain quotidien.
Prochaine livraison : 5) Un monde romantique qui réhabilite le magique
jeudi 25 septembre 2008
Dieu et au delà (3)
Entre la naissance et la mort, l’homme redoute ; il craint avant tout la mort. Cette crainte est « naturelle », elle est dans sa nature mortelle ; même le prolongement de l’espérance de vie ne sait l’atténuer ; car la pensée de la mort est connaturelle de la pensée ; l’homme pense à la mort parce qu’il pense. Les autres espèces animales ou végétales, dotées de la vie, elles-mêmes mortelles, ne pensent pas à la mort – du moins le pensons-nous - .
Dieu ne prend du sens que parce que nous sommes mortels et parce que nous le savons. Si nous étions immortels, nous bénéficierions de la qualité fondamentale de Dieu : l’éternité, nous serions ses égaux ; si nous ne pensions pas à la mort, nous n’aurions pas conscience de notre condition, nous ne penserions pas non plus à la vie ; l’idée d’un dieu (éternel, créateur) n’aurait aucun sens pour nous.
Il est difficile de concevoir la fin ; le cycle des jours et des saisons nous donne le rythme et la certitude de ce recommencement, qui ne cesse ni ne s’interrompt ; on n’imagine pas qu’un jour le soleil ne se couche pas ; qu’un jour la terre cesse de tourner ; que le monde, tel que nous le connaissons, puisse s’anéantir. Aussi, si nous pensons à la mort, ne peut-on que difficilement penser la mort (Vladimir Jankélévitch : « La mort est à peine pensable » / La Mort, 1977)
La mort, qui est après la naissance, l’autre terme de la vie, n’est redoutée que parce que nous aimons vivre, bien que vivre soit difficile ; si nous n’aimions pas vivre, nous ne redouterions pas de mourir. Et c’est par un déficit d’amour de la vie que certains préfèrent « se donner la mort », que ce soit dans des circonstances tragiques (le cas le plus fréquent des suicides, et des demandes d’euthanasie) ou symboliques (René, chez Chateaubriand, s’assit au pied d’un arbre, et « attendit la mort avec impatience »).
Dieu, qui est éternel, devient dès lors le terme cardinal de notre désir et de notre espoir, car à la fois il est à la fois éternel, et il nous promet l’éternité. La plupart des religions (monothéistes ou non) assurent les hommes d’une vie au delà de cette vie. Dieu est celui qui nous attend dans l’autre monde et nous y promet l’éternité ; le trépas est ce pertuis qui nous ouvre les jardins où on passe le l’existence à l’essence ; ici on existait, là on est. Pour les Catholiques, cette vie éternelle est inscrite dans le dogme ; elle est l’une des croyances fondamentales ; elle prend d’ailleurs deux aspects distincts : l’immortalité de l’âme (nous avons en nous quelque chose d’immortel) et la résurrection des corps (dans le Credo : « J’attends la résurrection des morts »).
Ainsi la mort peut-elle être à la fois redoutée (quand on aime la vie) et désirée (quand on croit en la vie éternelle dans un au-delà). Le désir de la mort,et du trépas, toutefois, ne s’inscrit que dans la perspective d’une croyance ; alors que de la mort physique nous avons la connaissance par la mort des autres, puisque nous ne saurions avoir conscience de notre mort ; du moins avant cette mort elle-même, si nous considérons que la mort est un trépas, un passage ( Jankélévitch : « La Mort joue à cache cache avec la conscience », La Mort).
Le discours de toute religion consiste alors à embellir le tragique de l’existence (puisque elle se termine mal ; son moment initial comporte déjà la promesse de sa fin) dans la musique du rêve. Selon les religions ce rêve prendra des formes différentes : le Jardin d’Eden, le Nirvana, le Paradis ; on y trouvera des nourritures abondantes, des vierges éternellement « pures », la lénifiante contemplation de Dieu ; y croire (donc, croire) c’est dès lors donner au rêve le sceau de la réalité.
L’homme, qui a dû quitter le Paradis terrestre parce qu’il péché contre Dieu, peut-il espérer gagner à coup sûr le Paradis céleste à la fin de sa vie ici-bas ? Non, car pour avoir originellement péché, il n’est point pour autant protégé de la tentation de pécher à nouveau (« Préservez-nous de la tentation » dit le Pater noster, la prière que nous a enseignée Jésus). Aussi le Paradis doit-il être gagné ; et il peut donc être perdu.
C’est là que se greffe une seconde, et plus importante crainte, celle que François d’Assise appelait « la mort seconde » ou mort après la mort, ou encore mort de l’âme, qui nous priverait à tout jamais du Paradis.
La crainte de la mort première se résout et se négocie dans l’espérance d’une vie au-delà ; mais cette espérance elle-même engendre une nouvelle crainte, celle de ne pas mériter, de chuter, de faillir. La faute, celle par quoi nous risquons de voir la vie éternelle se transformer en Enfer, peut faire resurgir notre culpabilité, et nous faire perdre, finalement toute espérance ; la mort seconde, à son tour nous guette. Dante, dans la Divine Comédie, au cours de son périple, guidé d’abord par Virgile qui le pilote dans les méandres de l’Enfer, découvre inscrits sur la porte de l’Enfer, ces mots : « Laissez toute espérance, vous qui entrez ici ». L’espérance n’est jamais qu’un faux semblant elle contient sa négation.
Dieu, donc, qui est le recours contre nos craintes, devient lui-même source de craintes. Mais il propose lui-même la manière d’y échapper, c’est le Sacrifice. Sacrifice d’Abraham dans l’Ancien Testament, par quoi Dieu éprouve son prophète, sacrifice de Jésus, par quoi son père assure la rémission de tous nos péchés, sacrifice de la messe, par quoi les prêtres renouvellent celui de la Croix, eucharistie enfin, en un processus inversé où, par le mystère de la transsubstantiation, le fidèle « sacrifie » le Christ en mangeant son corps et buvant son sang, et dans un processus fusionnel « communie » avec lui.
Crainte ultime, le Jugement dernier (si fortement incarné par Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine, après les prêches terrifiants de Savonarole, qui entraînèrent la fuite de l’artiste de Florence à Rome), Apocalypse, ou dévoilement (c’est le sens étymologique du terme ; Apocalypse de Jean – la plus citée -, mais aussi celle de Daniel dans l’Ancien Testament celle de l’Islam sunnite ou chiite …) des périodes tourmentées qui nous attendent avant le jugement dernier : règne de Satan, puis deuxième incarnation du Christ qui chasse l’Antéchrist ; cependant que les quatre cavaliers de l’Apocalypse (blanc, rouge, noir, pâle) représentant les fléaux, toujours actuels, de la famine, de la peste, de la guerre et de la mort, chevaucheront ce monde dans une cavalcade fantastique pendant son anéantissement.
De là d’ailleurs le rite des rogations (célébrées dans la liturgie catholique pendant les trois jours qui précèdent l’Ascension) avec la complainte litanique des " A peste, fame et bello, libera nos Domine " : De la peste, de la faim et de la guerre, libère-nous Seigneur
Dieu : la réponse à ce monde qui redoute ; qui craint à la fois la mort, les tourments de l’existence, l’incertitude du lendemain. Dieu est dans la religion chrétienne, doublement la réponse à ces craintes : Dieu a envoyé son fils sur terre pour effacer nos péchés par son sacrifice, mais l’homme est toujours soumis à la tentation et au péché ; le Paradis est de nouveau promis, mais il peut être perdu ; l’homme est au centre de son destin dans l’adoration de Dieu.
Ce mode d’articulation du discours est bien connu dans la littérature, mais surtout au cinéma ou au théâtre sous les termes de « construction en abyme », ou enchassement d’un récit à l’intérieur d’un autre (théâtre dans le théâtre, cinéma dans le cinéma) ; ce procédé narratif est de nature à renforcer « l’impression de réalité », puisque la fiction seconde rend non fictionnelle la première. En outre, dans la tradition catholique (mais pas toujours dans la tradition chrétienne, notamment chez Calvin) se greffe un troisième niveau de discours, celui sur le libre arbitre et sur la grâce ; selon Augustin (et plus tard Pascal) la grâce, intervention facilitante de Jésus, est nécessaire au Salut ; c’est le principe de la grâce qui fonde le rite de la prière, laquelle consiste à demander l’aide de Dieu, de la Vierge ou des Saints.
Cette dialectique de la crainte et de l’espérance, nous appelle à la transcendance, par quoi penser le monde, c’est penser Dieu, source de toute espérance, adoré mais aussi redouté ; la religion est ce discours, multiarticulé, qui nous montre la voie de notre salut : « Ego sum via, veritas et vita » : je suis la voie, la vérité et la vie, dit Jésus ; ne craignons plus, mais craignons car la vie, c’est au-delà.
samedi 20 septembre 2008
Dieu, et au delà (II)
La science, apparent paradoxe, dans sa recherche du vrai, a découvert et nous a livré l’incertitude ; c’est parce que l’on doute (et donc qu’on ne s’en remet pas aux croyances) que l’on cherche ; et ce que l’on trouve d’abord c’est l’étendue de notre ignorance (Jean D’Ormesson : « J’ai quelques lacunes dans l’océan de mon ignorance »).
Au point d’ailleurs que l’un des critères de la valeur scientifique d’une découverte est sa « falsificabilité » ; une découverte qui ne peut pas être contredite par une nouvelle découverte ne saurait être qualifiée de scientifique. Ainsi de la théorie de la relativité, ainsi des théories sur l’évolution, ainsi de le neurobiologie, et bien sûr des sciences dites humaines : sociologie, histoire, philosophie, psychologie ...
Le propre de la science c’est la recherche ; son produit c’est la découverte (rendre manifeste ce qui est couvert, caché, inconnu) ; sa méthode c’est le doute.
La science n’est donc pas une machine contre Dieu (ce que l’Eglise a souvent pensé : Galilée, Darwin, Freud …), mais une autre machine que la religion. Une machine à doute face à une machine à croire ; une machine à incertitude, fac à une machine à certitudes.
Notre monde, traversé par la science, les techniques, la matérialité des choses de la vie, la transversalité des relations et des échanges et leur globalisation, nous livre à tout instant à l’incertitude : rien s’est simple, tout est complexe (cf. récentes théories sur l’incertitude et la complexité) ; rien n’est sûr, tout est à la fois possible et improbable ; rien n’est stable ni définitif, tout est provisoire.
La philosophie existentialiste (incarnée en France par Jean-Paul Sartre) a inversé les pôles de nos références ; selon l’existentialisme, « l’existence précède l’essence » ; dans le cadre d’une religion révélée, « l’essence précède l’existence ». Pour les premiers, si Dieu « existe », il est une créature de l’homme (dont le propre est l’existence) ; pour les seconds, Dieu « est » avant tout, il a créé le monde existant. Plus que le marxisme et la psychanalyse freudienne, cette philosophie, développée dans l’après-guerre, lors d’une période où la vie dans son côté existentiel retrouvait les formes de l’espoir, est responsable du doute qui étreint nos consciences.
Or l’homme doute parce qu’il a besoin de certitudes, qu’il recherche, et qui sans cesse reculent devant lui. D’ailleurs s’il ne doutait plus, serait-il encore un homme ? Ou plutôt une abeille, un peuplier ou un roseau, un galet sur la grève ? L’homme disait Pascal, n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant.
Cette quête de certitudes, témoigne bien de nos incertitudes ; elle est présente dans la philosophie (Pascal), dans la littérature (Rimbaud : « Je suis celui qui voulait être Dieu ») et dans la science (travaux actuels du CERN), conduit « naturellement » à sa propre négation : le refuge dans la croyance qui nous donne un absolu, terme de toute recherche : son motif c’est l’espérance.
Dans notre monde incertain, tant au plan de la matérialité de l’existence qu’à celui du sens de notre vie, les trois « vertus théologales » des Chrétiens : la foi, l’espérance et la charité, apportent un répit à nos doutes, et une consolation (rite du consolamentum des Cathares) à nos angoisses existentielles. Croire (on ’a plus besoin de chercher) ; espérer (le sens de notre vie se trouve dans un autre monde) ; consoler ceux qui souffrent pour les aider à surmonter leurs difficultés dans cette « vallée de larmes ».
Il faut pourtant bien vivre en attendant cette autre vie promise ; et la mériter. Mais tout est prévu pour gérer notre misérable séjour sur terre, en attendant le trépas (le passage au delà) ; c’est le système qui nous est proposé avec Culpabilité / Pardon / Contrition / Pénitence / Absolution / Purification.
Nous sommes tous coupables ; notre première culpabilité est celle du péché originel attaché à l’acte de conception (seuls Marie et le Jésus ont été « conçus sans péché ») ; puis celle de nos fautes (les péchés véniels et mortels) qui résultent de nos désobéissances aux commandements de Dieu et de l’Eglise ; mais Dieu est pardon, on le prie d’ailleurs de pardonner : « Pardonnez-nous nos offenses » ; et il le prouve par le sacrifice de son fils, réalisé pour « expier nos péchés » et recréé périodiquement dans le « sacrifice de la messe » ; il exige cependant une participation : c’est d’une part la confession et la contrition, puis la pénitence (Savonarole, incitait compulsivement les Florentins à la pénitence, pour atténuer le courroux de Dieu, excédé par leurs fautes impies et leur soif de plaisirs matériels) ; à la suite de quoi on est absous de ses fautes, on retrouvé notre « virginité » et on peut donc, car notre condition humaine est tissée d’imperfections, rechuter et dès lors réinitialiser le système, jusqu’à l’extrême onction qui nous ouvre les portes du paradis.
N’en doutons plus ; ne doutons plus ; on voit bien que la foi nous sauve.
Prochaine livraison : 3) Un monde qui redoute
Dieu, et au delà
A quelques jours d’intervalle, le 10 septembre, le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) lançait la plus formidable expérience jamais tentée de physique nucléaire, et le 12 du même mois, Benoît XVI, le pape, faisait visite en France, où il êtait reçu à l’Elysée.
Aucun rapport, si ce n’est une coïncidence de dates entre ces deux événements
A ceci près que l’un tend à rechercher les modalités, voire les causes des phénomènes qui se sont produits voici 13 milliards d’année, lors du « Big Bang », voire avant ; et donc à rechercher pourquoi la matière à une masse ; avec aussi la perspective de créer de l’anti-matière, ce par quoi la matière s’anéantit et le néant s’établit là où auparavant elle était. C’est la science
L’autre en revanche sait déjà tout cela, comme cela lui a été révélé : que c’est un être éternel (et non seulement immortel), hors du temps et de l’espace (hors de la matière donc) qui a fabriqué le monde (enfin, le ciel et la terre) et exige qu’à ce titre il soit adoré. C’est la religion.
Le succès médiatique de l’un frôle la confidence ; celui de l’autre en revanche est considérable, tant par la couverture qui lui est assurée que par l’audience.
Comment, en ce XXI° siècle de l’ère chrétienne, peut-on simultanément chercher, à la limite du pensable et du possible, et savoir de façon absolue ?
C’est le dieu des Juifs et des Chrétiens – c’est le même -, que nous prendrons ici en considération ; celui dont les définitions ont marqué et marquent encore notre culture occidentale, dans cet espace conquis par les Romains où il partagea l’empire avec les empereurs, même si les récits concernant ce dieu, puisent leurs sources, bien au-delà, dans les civilisations mésopotamiennes et les mythologies païennes.
Comment donc expliquer cette prégnance du révélé, du sacré, du divin, dans notre monde qui privilégie la matière, ses transformations, sa consommation ?
Certes, les pratiquants, en France, sont devenus minoritaires (ce n’est pas le cas dans d’autres pays occidentaux : Etats-Unis, en Irlande …), mais les « croyants », ceux qui choisiront une sépulture religieuse (pensons à cet agnostique déclaré que fut Mitterrand), et ceux qui disent qu’ils ne pratiquent pas, mais qu’ils « croient », sont beaucoup plus nombreux, et dans tout le spectre de la société ; la foi peut prendre des aspects très différents : celle du charbonnier, celle du mystique, celle du sceptique, celle du savant ; celle qui correspond au travail de la raison (le noos des grecs), à celui du cœur (le thumos), à celui du ventre (epithumia : ce qui est sous le coeur) ; celle que l’on accepte par tradition (les racines chrétiennes), par raison (Leibniz : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien), ou par calcul (Pascal : Je ne suis sûr de rien, mais s’il y a un dieu, alors autant l’honorer, je ne peux rien y perdre mais tout y gagner). Mais cela reste la foi ; aucune preuve ne peut l’atteindre ni la constituer : c’est le propre de la « croyance », comme une intuition, un sentiment ; comme –surtout – une consolation.
Car Dieu, selon les mystiques eux-mêmes, est « inconcevable » : saint Paul : Dieu se rend manifeste par ses œuvres à toute intelligence ; saint François d’Assise : Très-haut et tout-puissant Seigneur, aucun homme n’est digne de te concevoir ; Bernanos : La foi c’est 24 heures de doute avec une minute d’espérance. Il existe des « preuves » de l’existence des prophètes, mais point de l’existence de Dieu.
Pourtant le dogme reste on ne peut plus affirmatif : « Je crois en Dieu, le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre » (Symbole des apôtres, dit aussi Credo) ; et l’évêque de Rome vient de le répéter : « Dieu nous a confié le monde qu’il a créé ».
Or, on ne peut justifier la foi par la foi, la croyance par la croyance. Aussi, peut-on, simplement, douter dans le cadre d’une affirmation absolue ? Où donc s’enracine la foi, puisque ce ne peut pas être dans la foi ?
Nous proposons ici de rechercher des réponses à cette question essentielle, à laquelle nul ne peut se dérober, dans quatre directions :
Un monde qui doute
Un monde qui redoute
Un monde qui cherche
Un monde qui se comble
Prochaine livraison : 2) Un monde qui doute
mercredi 27 août 2008
La formation professionnelle des enseignants - 4
Lorsque le ministre de l’Education Nationale, Xavier Darcos, annonce simultanément la suppression prochaine des IUFM, le recrutement des enseignants au niveau master, et leur prise de fonction immédiate, il pose manifestement les bases d’un tel mode de fonctionnement. Il est d’une grande naïveté de ne pas s’en rendre compte.
La formation initiale : avant le recrutement
Si notre raisonnement est exact, alors la question trouve une réponse logique : la formation initiale se situe avant le recrutement. C’est ce que les différentes réformes opérées depuis plus d’un demi-siècle n’ont pas réussi à faire ; car dans la situation actuelle, le recrutement réel (concours) se fait sur des bases liées exclusivement aux contenus disciplinaires, la formation professionnelle, se situant dans l’année suivante, est sanctionnée par un examen que tous les candidats, à de rares exceptions, remportent.
De fait les IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) n’ont pas su - notamment pour l’enseignement secondaire, car pour le primaire ils ont œuvré dans la lancée des anciennes Ecoles Normales - malgré la très large autonomie dont ils bénéficiaient, rénover de façon profonde et rationnelle la formation des enseignants. C’est un des aspects du conservatisme viscéral du corps enseignant : des discours protestataires d’un côté, un immobilisme trop souvent constaté dans les pratiques ; la conséquence en est qu’un jour, un gouvernement dit « ça suffit ! ». Et que les réformes alors décidées risquent fort d’avoir une couleur idéologique marquée.
Partons donc du principe que la formation des enseignants doit se situer en amont du recrutement : c’est en effet la condition à laquelle la maîtrise des contenus de formation intervient dans la qualification initiale. Ce principe s’applique dans les cas où la qualification est accordée aussi bien par concours que par examen ; le mode de recrutement est donc alors indifférent et la question posée initialement n’est qu’apparemment liée au mode de recrutement.
Mais en réalité, on ne saurait aujourd’hui considérer qu’un enseignant, quelle que soit sa compétence, recruté à l’âge de 23 ans, dispose d’un bagage professionnel valable jusqu’à l’âge de sa retraite. C’était pourtant le cas naguère, et on a parfois tendance à penser que cela pourrait continuer ainsi.
De nos jours la formation continue fait l’objet, dans tous les corps de métier, d’un intérêt et d’une attention soutenus. C’est que, parce qu’elle est en prise directement sur l’activité, à la fois dans ses deux dimensions théorique et pratique (il faut connaître la théorie, il faut maîtriser la pratique), les savoirs et les savoir-faire, que précisément elle peut servir de référence pour la formation initiale ; aussi nous intéresserons-nous d’abord à celle-là.
La formation continue
La formation continue des professionnels de l’éducation est considérée comme une « obligation » dans 20 pays européens (Source Eurydice, août 2008), avec toutefois des modalités bien différentes. En Espagne elle est valorisée par une prime salariale ; dans d’autres pays elle est prise en compte pour la promotion ; en Italie elle est obligatoire, de droit et de fait, pour les nouveaux enseignants ; en France, après le mouvement lié à la création des MAFPEN (Missions Académiques à la Formation des Personnels de l’Education Nationale), préfigurées par le ministre Beullac, puis mises en place par son successeur, Savary), la formation continue s’est étiolée, de facultative, elle est devenue épisodique puis pratiquement négligée, réduite d’ailleurs à un moment de « recyclage » lié aux changements dans les programmes et les contenus disciplinaires.
La revue Education permanente, en 1989, avait consacré un numéro entier à cette question, avec la participation de 29 experts ; dans son éditorial, signé de Guy Jobert (Université Paris-Dauphine), on mettait en relief le rôle de la formation continue dans l’identité professionnelle des enseignants ; aussi l’importance des aspects non-disciplinaires : « les besoins de connaissances des responsables de l’enseignement et des enseignants eux-mêmes sur les processus individuels et sociaux de l’éducation sont immenses, indépendamment des contenus disciplinaires à transmettre. » Cela s’écrivait il y près de vingt ans …
Tout cela est resté lettre morte. Pourtant les dispositions officielles donnant une certaine autonomie pédagogique aux établissements, notamment par le Projet d’école ou le Projet d’établissement pour le secondaire, rendent indispensable à la fois une réflexion collective sur les données permettant d’assurer l’efficience et la faisabilité, et une formation sélective des différents acteurs. L’autre versant du projet d’établissement serait donc un « Projet intégré de formation » ; c’est d’ailleurs ce qui fut expérimenté, avec succès, dans l’Académie de Bordeaux dans les années 84-86. Imagine-t-on une entreprise qui souhaiterait mettre en œuvre des techniques nouvelles, pour des objectifs nouveaux, sans conduire une étude préalable et une formation adéquate des responsables ?
Il s’agirait dès lors d’organiser une formation ajustée aux données spécifiques du lieu d’exercice. Ce qui justifie d’ailleurs la formulation qui fut parfois retenue de « Formation en exercice »
On pourrait, en poussant notre raisonnement à la limite, avancer que la formation continue (qui concerne donc près d’un million de personnes) est aussi importante que la formation initiale.
Qu’est-ce qui en découle au plan des modalités ?
D’abord que la formation en exercice revêt deux aspects : l’un collectif, correspondant au travail en équipe dans le projet ; l’autre sélectif, correspondant aux fonctions spécifiques de chaque enseignant : par exemple un système d’évaluation formative se réalisera différemment selon qu’on enseigne les mathématiques ou la musique, l’anglais ou la géographie.
Ensuite que le lieu de formation est d’abord l’établissement lui-même pour ce qui relève du collectif ; un lieu de regroupement (Université ou Centre de formation …) pour ce qui relève du sélectif et qui peut regrouper des enseignants de plusieurs établissements)
Aussi, comme nous l’avons analysé précédemment, que l’objet de la formation concerne à la fois les contenus d’enseignement (notamment lors de la modification de programmes), les méthodes, les procédures (savoir-faire).
Enfin, et ceci découle de cela, que les formateurs relèvent de plusieurs ordres de compétences : des représentants de la hiérarchie (inspecteurs), des universitaires, des praticiens.
Quant à la formation initiale, elle devrait prendre ses repères, précisément dans la formation continue ; mutatis mutandis, bien sûr.
Ce qui concerne le projet d’établissement serait vu au niveau du projet national d’éducation ; ce qui concerne les enseignements stricto sensu, au niveau des points cardinaux de compétences que nous avons présentés en 3 (Quels contenus pour la formation) ; en matière de savoir faire, en revanche, il conviendrait de mettre en place une formation en alternance, ou d’apprentissage, ce qui donnerait une situation analogue à celle de la formation continue, à pôles inversés puisque ce seraient des « étudiants » qui iraient sur le terrain, et non des praticiens qui reviendraient étudier.
Le moment de cette formation serait indiscutablement situé avant le recrutement, et son résultat pris en compte lors du concours, qu’il soit national ou local : on ne forme pas les magistrats après les avoir nommés, mais avant …
Où former ?
Si le lieu premier de la formation continue est celui où exercent les professionnels, il ne peut pas en être de même pour les futurs enseignants ; le doctrine jusqu’à la loi de 89, était un lieu spécifique pour le primaire (les Ecoles Normales), l’Université pour le secondaire (avec aussi les Ecoles Normales Supérieures, mais qui ne dispensaient pas de formation pédagogique) ; venait s’ajouter pour les professeurs du secondaire un stage pédagogique sur une année, organisé par les CPR (Centres Pédagogiques Régionaux).
La loi de 1989 a modifié les données en créant les IUFM, qui d’une part recrutent au niveau licence (par concours pour le primaire, par inscription pour le secondaire), d’autre part préparent aux concours de recrutement (CRPE / CAPES ; l’agrégation restant confiée aux Universités).
Cette dernière réforme en réalité a de fait compliqué les choses, pour n’avoir été ni conçue ni conduite de façon systémique : le recrutement après la licence pour le primaire n’a en rien accru les savoirs pluri-disciplinaires des « instituteurs » ; en revanche ceux-ci devenant « professeurs des écoles » ont accédé à la catégorie A de la fonction publique, avec conséquemment une rémunération plus élevée ; c’était une revendication syndicale ancienne … En ce qui concerne le secondaire, les IUFM ont subdélégué aux Universités la préparation aux concours (c’est eux par conséquent qui reçoivent de l’Etat les financements correspondants et … les reversent aux Universités, avec tous les contentieux qu’on peut imaginer) ; quant à la formation professionnelle, réduite à la portion congrue car les stagiaires sont en situation de responsabilité directe avec 6 heures de cours par semaine (sans aucune préparation initiale), elle manque totalement de lisibilité et de cohérence, par incapacité à élaborer des programmes construits, avec tout le cortège des rivalités disciplinaires et catégorielles (les didactitiens des disciplines / les psychologues / les sociologues / les spécialistes de sciences de l’éducation / les inspecteurs / les praticiens …).
Les critiques de cette institution viennent d’abord des bénéficiaires, qui dénoncent à la fois le salmigondis des formations théoriques et l’absence de réponse aux problèmes réels qu’ils rencontrent dans les classes.
En réalité le « Où former » cache une question autrement plus importante : Former, oui, mais par qui ?
Notre système éducatif manque cruellement d’un réseau de compétences alliant à la fois les connaissances théoriques et les savoir faire applicatifs. Les disciplines de sciences humaines concernées se défendent farouchement de tout « applicationnisme » : « C’est comme ça, mais, qu’est-ce qu’on en fait et comment on fait, à vous de voir, ce n’est pas de ma compétence ». L’Université met un point d’honneur à valoriser et promouvoir les chercheurs, mais non les experts ; lors des concours de recrutement (Qualification prononcée par le Conseil National des Universités, le CNU – niveau 1 de concours –/ recrutement par les Commissions de spécialistes – niveau 2 de concours) ne sont pas prises en compte les publications touchant à la pratique professionnelle, sauf si c’est pour la prendre comme objet d’étude. On considère les « experts » comme des personnes ne relevant pas de la « science » universitaire : « C’est un des meilleurs experts, mais ce n’est pas un chercheur » a-t-on entendu au CNU, pour refuser une qualification.
Or c’est précisément d’experts que nous avons besoin pour la formation professionnelle des enseignants : des gens qui connaissent la théorie, mais qui n’ignorent rien de la pratique ; qui connaissent la résistance des matériaux, mais qui savent aussi construire des ponts.
La formation des formateurs devient donc l’urgence première.
On le voit, la formation professionnelle des enseignants pose donc tout d’abord la question des formateurs.
Débat qui court depuis longtemps comme un serpent de mer : participation des entreprises à la vie universitaire ; développement de formations à visée professionnelle ; formations en alternance ou par apprentissage.
Enseigner est un métier, comme les autres ; fini le temps où on devenait instituteur ou professeur par vocation ; et où la vocation pouvait faire office de bagage professionnel.
Certes, il existe, en amont de la formation, un certain nombre de conditions préalables, qui relèvent des goûts ou des intérêts personnels : il vaut mieux être patient qu’impulsif, convivial plutôt qu’individualiste, jovial que renfrogné, curieux et ouvert d’esprit que buté … mais tout cela aussi s’apprend, si on a envie d’exercer ce métier.
Ce n’est pas l’objet de ces textes, mais il va sans dire que c’est le métier premier de toute société : l’école restera – même si on se complait souvent à la critiquer – la base de toute organisation sociale et de toute compétence professionnelle.
Il est urgent de se préoccuper sérieusement de la formation des maîtres.
dimanche 17 août 2008
UPM / Processus de Barcelone
Texte proposé par André Berruer, à la suite de nos différentes mentions, dans la rubrique Au jour le jour, sur l'Union Pour la Méditerranée (UPM).
André Berruer travaille en éducation et formation professionnelle depuis 38 ans dans divers pays d’Afrique –notamment du pourtour méditerranéen- et d’Amérique latine, pour le compte d’organismes bi et multilatéraux d’aide au développement.
Le Président français, qui est aussi au cours de ces six mois, président de l’Union européenne, a organisé à Paris, le 13 juillet 2008, une réunion pour créer l’Union pour la Méditerranée (UPM) avec les hauts responsables de 43 pays, mais aussi les représentants d’organismes multilatéraux : Nations unies (le Secrétaire général), Union européenne, (Président de la Commission, Secrétaire général du Conseil de l’U.E., Président du Parlement européen) ; Conseil européen de coopération des Etats arabes du Golfe ; Ligue des Etats arabes ; Union africaine ; Union du Maghreb arabe ; Organisation de la Conférence islamique.
Les aspects culturels n’ont pas été oubliés : l’Alliance des civilisations ; la Fondation euro méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures. Enfin des banques bien sûr en vue de financer des actions: la Banque africaine de développement, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement.
Les médias français ont largement rendu compte de cette entreprise qui réunissait, autour du Président de l’Union européenne –mais aussi notre Président- autant de hauts dignitaires et responsables. Nicolas Sarkozy avait eu l’idée de s’intéresser à l’espace méditerranéen et de créer cette union de tous les pays du pourtour méditerranéen, dans un grand élan de fraternité, sous le regard bienveillant des autres Etats européens.
Les comptes-rendus médiatiques de l’Hexagone ont mis en relief la nouveauté de l’initiative. Mais pas de référence à Pirenne (1862 – 1935) (historien belge qui, dans un article paru dans la Revue belge de philologie et d’histoire intitulé « Mahomet et Charlemagne » (1922) a mis en évidence la complémentarité entre le monde germanique « barbare » et le monde méditerranéen ainsi que le rôle d’unité politique, économique et culturelle du pourtour méditerranéen. Le commerce de l’Empire romain, fondé sur une structure de cités, était centré sur la Méditerranée. Il a conclu : « Sans l’Islam l’Empire franc n’aurait sans doute jamais existé et Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable » ), non plus qu’à Braudel (1902 – 1985) (à travers sa thèse intitulée : « La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II » il a introduit une nouvelle conception de l’histoire : « l’histoire lente » qui prend en compte les aspects économiques, sociaux, culturels, contrairement à l’histoire évènementielle. Il est le chef de file d’une nouvelle génération d’historiens qui s’exprime dans « Les Annales » ) non plus qu’au Processus de Barcelone ; c’était une information à usage exclusif des Français.
La création de cette UPM a fait l’objet d’une Déclaration de dix pages (au format pdf) avec une courte annexe, que l’ensemble des participants a approuvée. Il fallait donc que le discours change, que le contenu et la forme puissent être acceptés par des pays aussi divers que la Libye et Israël (par exemple) donc que l’on gomme toute aspérité susceptible d’effaroucher le nationalisme des uns et des autres. C’est ce qui fut fait.
Au long de ces dix pages, le Processus de Barcelone est cité 34 fois (plus une fois dans l’annexe). Ce texte éclaire la méthode générale de l’UPM : s’appuyer sur ce qui existe déjà :
« L’Union pour la Méditerranée s'appuiera sur l'acquis du processus de Barcelone, dont il renforcera les réalisations et les éléments fructueux. La déclaration de Barcelone, ses objectifs et les domaines de coopération qu'elle prévoit restent d'actualité et les trois chapitres sur lesquels porte la coopération (dialogue politique, coopération économique et libre- échange, et dialogue humain, social et culturel) demeureront au centre des relations euro méditerranéennes » (§11 de la Déclaration).
Des objectifs très généraux sont mentionnés : « une Union pour la Méditerranée imprime un nouvel élan au processus de Barcelone d'au moins trois façons très importantes: - en rehaussant le niveau politique des relations de l'UE avec ses partenaires méditerranéens; - en prévoyant un meilleur partage de la responsabilité de nos relations multilatérales; et - en rendant ces relations plus concrètes et plus visibles grâce à des projets régionaux et sous-régionaux supplémentaires, utiles pour les citoyens de la région » (§ 14). Reste à traduire cela dans les faits…
Les actions les plus diverses sont envisagées : « Il est nécessaire d'étendre la coopération dans des domaines tels que le développement des entreprises, le commerce, l'environnement, l'énergie, la gestion de l'eau, l'agriculture, la sécurité des aliments, la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, les transports, les questions maritimes, l'enseignement, la formation professionnelle, les sciences et les technologies, la culture, les médias, la justice et le droit, la sécurité, la migration, la santé, le renforcement du rôle des femmes dans la société, la protection civile, le tourisme, l'urbanisme, les ports, la coopération décentralisée, la société de l'information et les pôles de compétitivité…… Il est primordial de concrétiser les objectifs fixés dans la déclaration de Barcelone de 1995 et dans le programme de travail de 2005 et de les traduire en projets régionaux majeurs » (annexe). Cette « shopping list » qui n’inclut tout de même pas la pêche (on n’allait pas s’étriper sur le thon…) affiche donc comme ambition de faire ce que EuroMed (traduction opérationnelle du Processus de Barcelone qui a donné lieu à la Déclaration de Barcelone) ne fait pas ou pas assez vite, ou mal, aux yeux du Président français et des participants.
EuroMed
(Informations glanées sur le site EuroMed et sur le site du ministère français des Affaires étrangères).
Créé lors de la Conférence de Barcelone des 27-28 novembre 1995, le partenariat euro méditerranéen, dit Processus de Barcelone, regroupe les 25 Etats membres de l’Union européenne et 10 Etats du Sud et de l’Est de la Méditerranée : Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël, Autorité palestinienne, Jordanie, Liban, Syrie et Turquie.
La Libye est observatrice aux conférences où la Mauritanie, candidate à devenir membre du partenariat, est traditionnellement invitée.
Les Conférences ministérielles ont lieu tous les deux ans, leur suivi est assuré par des réunions ministérielles à mi-parcours, le plus souvent chaque année (ces réunions sectorielles dans des villes différentes des Etats-membres concernent : le commerce, l’industrie, l’environnement, l’eau, l’information et la communication, l’énergie, l’agriculture, la culture, la santé, l’éducation, les finances), et des réunions trimestrielles de hauts fonctionnaires.
Lors de la Conférence des Ministres des Affaires étrangères à Luxembourg (mai 2005), des conclusions consensuelles ont pu être adoptées, proposant comme domaines prioritaires pour l’avenir : les droits de l’homme et la démocratie, la croissance économique durable et l’éducation.
Le partenariat comporte trois volets : politique ; économique et financier ; culturel, social et humain.
Le partenariat est la seule enceinte qui réunit depuis 13 ans l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée, Israël compris. Le processus a été créé comme un projet commun, un véritable partenariat entre l’UE et les pays du sud de la Méditerranée. Un climat de confiance et de dialogue s’est progressivement instauré entre Arabes, Européens, Israéliens et Turcs et a bénéficié à la présence extérieure de l’Union européenne.
LES ACQUIS DU PROCESSUS
Treize ans après son lancement, le bilan du Processus de Barcelone est globalement positif, même si les objectifs de la Déclaration de Barcelone ne sont pas encore intégralement mis en application.
1. Les résultats sur le volet économique et financier sont les plus importants.
En perspective de la création d’une zone de libre-échange en 2010, des accords d’association ont été conclus avec neuf pays (Algérie, Autorité palestinienne, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie) et une union douanière avec la Turquie.
Les accords d’association ont permis de développer les échanges entre l’UE et les pays méditerranéens, contribuant de manière significative au développement de ces derniers. Les exportations des pays méditerranéens vers l’UE ont progressé à un rythme moyen de 7,2% par an depuis 1990 contre 4,2% dans le reste du monde. Les accords d’association ont également permis d’homogénéiser les législations dans les domaines des règles de concurrence, des mouvements de capitaux et de renforcer la coopération économique dans des secteurs essentiels comme l’énergie, tout comme ils ont permis, à l’échelle macro-économique d’améliorer les chiffres du déficit public, de la dette extérieure et des taux d’inflation des pays méditerranéens.
Les contacts entre entreprises ont été facilités et se sont multipliés, notamment grâce à la constitution l’ASCAME, (Association des chambres de commerce et d’industrie de la Méditerranée). Les programmes de coopération entre PME ont permis de mettre en contact 6500 PME des pays méditerranéens avec des homologues de l’UE.
Les efforts en vue d’une plus grande intégration régionale ont connu un progrès significatif avec la signature de l’accord d’Agadir (février 2004) prévoyant la mise en place d’une zone de libre échange entre le Maroc, la Tunisie, la Jordanie et l’Egypte.
La Politique européenne de voisinage (PEV) vise, depuis 2003, à permettre un rapprochement plus ciblé de l’UE avec les pays situés à ses frontières. Des plans d’action ont été négociés avec la Jordanie, la Tunisie, le Maroc, l’Autorité palestinienne et Israël. Ces plans d’action contiennent un calendrier de réformes à court, moyen et long terme, et des indicateurs de résultats. Ils ont été approuvés en février 2005. De nouveaux plans d’action sont en préparation avec l’Egypte et le Liban.
La Commission poursuit ses efforts en vue de la réalisation de la zone de libre-échange entre l’UE et ses partenaires euro-méditerranéens. Suite aux conclusions de la conférence ministérielle de Luxembourg (mai 2005), la Commission a présenté des projets de mandats de négociation pour la libéralisation des services et du droit d’établissement et pour la libéralisation des produits agricoles et produits transformés de l’agriculture et de la pêche.
Les accords d’association entre l’Europe d’une part le Maroc et la Tunisie d’autre part, prévoient une réduction progressive des droits de douanes jusqu’à 2012
Ces actions sont appuyées par deux instruments d’aide : la coopération est financée par les crédits du programme MEDA :
- 3,4 milliards d’euros pour MEDA I (1995-1999)
- 5,35 milliards d’euros pour MEDA II (2000- 2006).
Si le ratio entre paiements réalisés et crédits engagés n’était que de 29% en 1995, il est passé à 81% fin 2003.
85% des fonds sous MEDA II ont été affectés à des actions bilatérales avec des pays méditerranéens et 15% à des actions régionales. Ces fonds ont permis d’accorder des aides destinées aux politiques d’ajustement structurel et sectoriel. L’Algérie a obtenu à ce titre 195 millions d’euros, le Maroc 252 millions d’euros et l’Autorité palestinienne 336.3 millions d’euros.
Les prêts accordés à la Méditerranée par la Banque européenne d’investissement (7,4 milliards).
Ces prêts ont été augmentés grâce à la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP), lancée en octobre 2002. Cette dernière dispose de trois instruments d’appui au secteur privé :
- l’enveloppe spéciale pour les opérations à risque du secteur privé ;
- le fonds fiduciaire, doté à l’origine de 40 M€ et qui finance les secteurs prioritaires de l’eau ou de l’électricité ;
- le fonds de soutien pour l’assistance technique de la FEMIP qui prépare et met en œuvre des investissements privés.
-
Le Conseil Ecofin de novembre 2003 a décidé de renforcer cette facilité et de créer une filiale EuroMed de la BEI.
Ces prêts ont financé des projets tels Steg Gaz en Tunisie (55 millions), le port de Tartous en Syrie (50 millions), la centrale électrique de Nubariya en Egypte (150 millions).
2. Le volet politique, bien que tributaire des difficultés liées au processus de paix au Proche-Orient, a permis d’instaurer progressivement un climat de confiance réciproque.
Les réunions des ministres des Affaires étrangères ont rendu possible l’existence de contacts réguliers au plus haut niveau entre Arabes, Européens, Israéliens et Turcs.
Un dialogue a été instauré au niveau des experts sur certains sujets sensibles : situation au Proche-Orient, terrorisme et droits de l’homme notamment. Le soutien à l’Autorité palestinienne et au processus de paix (1,5 M € sur fonds MEDA) a encouragé la coopération régionale entre Israéliens et Arabes dans des domaines comme l’éducation ou l’environnement.
Depuis 2003, un dialogue régulier en matière de sécurité et de défense a été lancé avec pour objectif de développer la coopération avec les partenaires du Sud dans le domaine de la prévention et de la gestion des crises et de favoriser, sur la base du volontariat, leur participation à des opérations et exercices civils et militaires.
3. Le volet culturel, social et humain se développe peu à peu.
Dans le domaine de l’éducation, des facilités budgétaires ont contribué à l’amélioration du système éducatif au Maroc, en Jordanie, Egypte et Tunisie.
Un forum EuroMed des syndicats a également été créé pour former les acteurs sociaux en matière de droits sociaux.
Depuis 1995, sept forums civils euro-méditerranéens ont eu lieu. Plusieurs centaines de représentants de la société civile issus des trente-cinq Etats membres ont tenu une Assemblée constitutive à Luxembourg, le 1er avril 2005. Cette réunion, appuyée et financée par la Présidence et la Commission, a permis l’adoption d’une Charte de principes et de valeurs ainsi que de statuts qui ont débouché sur la création d’une plate-forme euro-méditerranéenne non-gouvernementale, dont le siège est en France. Cette plate-forme a pour objectif de permettre un dialogue approfondi entre les gouvernements et la société civile pour faire progresser le partenariat EuroMed.
EuroMed Heritage participe de la préservation et du développement du patrimoine culturel ; EuroMed Jeunesse appuie l’établissement d’une plate-forme d’associations jeunesse (EuroMed Jeunesse III pour le dialogue, la citoyenneté et la démocratie) ; EuroMed audiovisuel promeut la coopération dans le secteur audiovisuel ; le programme Tempus facilite les échanges au niveau de l’enseignement supérieur.
La Conférence de Naples (décembre 2003) a lancé le projet de Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue des cultures, qui a été inaugurée en avril 2005 et dont le siège est situé à Alexandrie (Egypte). Elle a pour tâche essentielle, en s’appuyant sur des réseaux nationaux, de développer les échanges entre les sociétés civiles et favoriser le dialogue des cultures et civilisations. Le réseau français est piloté par la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme de l’Université d’Aix-en-Provence.
L’assemblée parlementaire euro méditerranéenne, créée en décembre 2003 lors de la Conférence EuroMed de Naples, regroupe 120 parlementaires méditerranéens et 120 européens. Elle a un pouvoir consultatif et de recommandation (trois commissions sont constituées : affaires politiques, sécurité et droits de l’homme ; affaires économiques et financières ; affaires sociales et éducation).
Une conclusion possible
La coopération entre l’Europe et les pays du pourtour méditerranéen est une réalité. De nombreux projets bilatéraux fonctionnent actuellement, quelques projets régionaux et sous-régionaux aussi ; nous n’avons cité que quelques activités ; ce survol n’est pas exhaustif. Les pays se prennent en main. Depuis quelques années la Commission européenne n’élabore plus de projets avec ses partenaires du Sud mais donne un appui budgétaire dans des domaines ciblés, les responsables nationaux établissent des indicateurs qui sont conjointement suivis et ajustés.
Certes les actions régionales et sous-régionales sont encore timides à cause des situations politiques et de guerre, mais elles progressent. Les actions bilatérales, à terme, servent le régional.
Les lenteurs de la mise en œuvre d’actions spécifiquement régionales sont constatées dans tous les organismes régionaux ; l’UMA (Union du Maghreb arabe) est un exemple parmi d’autres.
Compte tenu de ce qui précède on voit mal quel apport spécifique fera l’UPM qui, néanmoins, veut disposer d’un financement propre (de qui, sinon des financiers de EuroMed qui n’ont aucune raison de ne pas poursuivre leur tâche au sein de cette structure plus que décennale ?) et une structure propre : « Les chefs d'État ou de gouvernement décident de mettre en place de nouvelles structures institutionnelles qui contribueront à la réalisation des objectifs politiques de cette initiative, qui consistent notamment à renforcer le partage des responsabilités, rehausser le niveau politique des relations euro méditerranéennes et mettre le processus en évidence grâce à des projets ». (§ 23) qui double complètement celle de EuroMed. On prévoit une « co-présidence » avec un représentant de l’Europe et un du pourtour méditerranéen (§ 21) ; un « secrétariat conjoint » (§ 24) ; un « comité permanent conjoint » (§ 26).
Toutes les actions répertoriées dans l’annexe à la Déclaration de l’UPM sont prises en compte par EuroMed ( En plus du catalogue ci-dessus mentionné, la Déclaration insiste sur six activités : « dépollution de la Méditerranée », « autoroutes de la mer et autoroutes terrestres », « protection civile », « énergie de substitution – plan solaire méditerranéen », « enseignement supérieur et recherche – université euro méditerranéenne », « initiative européenne de développement des entreprises ». Autant de thèmes qui, comme les autres cités, sont pris en compte par EuroMed).
S’il faut améliorer le fonctionnement de cette structure déjà lourde, la dynamiser, est-ce en créant une autre institution qui, par nature, sera inutile ?
La seule utilité visible de cette grande manifestation est la publicité pour son initiateur. Il s’agit plus d’un show « people » et médiatique que d’une initiative réfléchie et sérieuse. La déclaration finale, très générale, catalogue d’incontestables bonnes intentions et de bons sentiments, illustre son inutilité. (En complément à cette brève approche, on lira avec profit « Adresse au président de la République, Nicolas Sarkozy » par Béatrice Patrie (Présidente de la Délégation pour les pays du Machrek au Parlement européen et Emmanuel Español (historien) – Actes Sud, collection « Sindbad », Arles 2008).
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La formation des enseignants - 3
« Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage … » ; « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » ; l’aphorisme de Nicolas Boileau, comme la sagesse populaire laisseraient penser que c’est en enseignant qu’on devient enseignant, que le métier, en somme s’apprend sur le tas, qu’il suffit de manifester envers les élèves ces qualités élémentaires que sont l’attention, la clarté dans l’exposé, la rigueur dans l’évaluation ; qualités élémentaires que nulle formation ne saurait promouvoir ni développer, mais qu’une bonne connaissance de la matière enseignée déjà contient en soi.
Une preuve en serait que de jeunes étudiants, ou des parents, vierges de toute formation professionnelle, réussissent fort bien dans des cours particuliers ou des séances d’aides aux devoirs ; que des enseignants sachent aider efficacement des élèves qui ne réussissent guère lorsqu’ils sont dans leurs classes.
Cette position est peu réaliste pour une série de raisons, dont les premières sont liées au fait que parmi les tâches que doit accomplir l’enseignant, l’essentiel se déroule dans un contexte institutionnel donné, avec des programmes fixés par un ministre, devant des groupes d’élèves hétérogènes (c’est la mixité sociale), des objectifs en termes de connaissances, de méthodes de travail, de réussite (les fameux 80% , ou plus, au niveau du bac), dans un espace défini et avec un emploi du temps contraint. Mais les raisons les plus importantes relèvent des caractéristiques propres au statut d’élève, qui concerne chacun d’entre eux et non seulement une fraction ; chacun dans contexte collectif ; chacun dans son « droit » à la réussite, quels que soient ses « aptitudes » initiales, son environnement socio-culturel, ses démarches de travail personnelles.
La connaissance de l’institution.
Le ministère de l’éducation nationale, avec plus d’un million d’employés et près de 15 millions d’élèves ou d’étudiants, est gigantesque ; son organisation, à la fois par son histoire (en gros elle date de Napoléon), et par l’étendue sur laquelle elle s’exerce, est gérée par une réglementation à la croissance exponentielle (le RLR – Recueil des Lois et Règlements- occupe près de deux mètres linéaires de textes sur une étagère). Ce que l’on appelle aussi parfois le Code de l’éducation (Consultable sur legifrance.gouv.fr) traduit la complexité de la législation et de la réglementation : lois, décrets, arrêtés, circulaires, notes, s’empilent, se modifient, se développent en applications, de telle façon qu’il faudrait plusieurs années d’étude pour en apprendre l'entière substance.
Hors de question bien sûr d’en faire dans sa totalité, matière de formation ; au moins convient-il que les enseignants connaissent son existence, et les grands principes qui le sous tendent : objectifs de l’éducation (ils sont beaucoup plus complexes que la simple « transmission des connaissances »), organisation administrative, déconcentration (pouvoirs conférés par le ministre à certains niveaux de la hiérarchie) et décentralisation (pouvoir décisionnel conféré aux collectivités territoriales), les mécanismes de décision et de régulation, l’organisation interne des établissements, les statuts et carrières des personnels.
On n’imagine guère, dans quelque branche professionnelle que ce soit, que des cadres (car il n’y a pratiquement que des cadres dans l’E.N.) ignorent le fonctionnement du service dans lequel ils exercent, l’organisation et la hiérarchie dans l’entreprise.
Les enseignants sont aujourd’hui confrontés à des situations où ces connaissances sont indispensables, notamment par leur participation au « projet d’établissement », à l’orientation des élèves, aux relations avec les parents et l’environnement économique et culturel, aux instances administratives.
Un premier volet de la formation concerne donc l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.
Les objectifs assignés à l’entreprise.
Ils sont notoirement différents de ceux que chacun a pu connaître lorsqu’il était lui-même élève. La première différence tient au basculement qui a eu lieu à la fin des années 50 avec la prolongation de la scolarité obligatoire, et qui a été poursuivi par les différentes réformes successves. Ce basculement concerne la distinction Sélection / Promotion. La finalité traditionnelle des établissements, du primaire au supérieur, était naguère de sélectionner les élites dont la nation « a besoin ». Un professeur pouvait alors se contenter de proposer dans son enseignement des « ponts aux ânes » sur lesquels ne passaient que les plus rapides et les meilleurs. L’Ecole constatait, valorisait et légitimait un état de nature : les bons élèves, destinés à devenir les cadres de la nation.
Notre système éducatif s’est depuis plusieurs décennies, fixé des objectifs centrés sur l’idée de « Promotion de tous », malgré la parenthèse chevenementielle de l’ " élitisme républicain".
Or, la promotion de tous est certainement la chose la plus difficile à concevoir, autrement que comme une utopie L’idée de l’égalité réelle (déjà prônée par Condorcet) se heurte à mille raisons de bon sens ; et seule une formation et une réflexion à la fois historique, sociologique et philosophique peut permettre d’en saisir à la fois les racines, la portée et la nécessité.
La connaissance du métier d’élève.
On la vu, l’élève n’est ni une table rase, ni une machine, mais une personne qui met en œuvre son intelligence avec ses capacités cérébrales et tout son être.
On peut certes avoir une connaissance intuitive du fonctionnement de l’intelligence : mémoire et oubli / motivations et refus / compréhension et erreurs / stratégies d‘apprentissage / procédures d’anticipation / processus de communication / réactions spécifiques aux groupes etc., etc.
Cependant le développement récent des sciences cognitives (sciences relatives aux activités de connaissance), des neuro-sciences (connaissance du fonctionnement cérébral), de la psychologie personnelle et sociale, de la communication et de l’interprétation des signes et des textes (sémiologie), notamment, nous a apporté une approhe et une maîtrise meiux assurée des activités d’apprentissage, incluant à la fois le comprendre, l’apprendre, le mémoriser, ainsi que des variantes entre individus et dans un groupe.
La connaissance du métier d’enseignant
Cela semble une évidence, au point qu’on est tenté de le négliger. Or il y a bien une « technicité » de ce métier. Qu’il s’agisse du découpage, des progressions et de la présentation des contenus, de la conduite de la classe et de l’autorité, de l’évaluation et de la notation, de la pédagogie différenciée et de l’aide personnalisée, de la gestion des groupes, ainsi que des conflits, de la communication interpersonnelle ou collective, du conseil en orientation, de l’utilisation des nouvelles technologies, de la gestion des sanctions éventuelles, de la prise en compte des représentations (connaissances, pseudo-connaissances, erreurs, convictions …) des élèves, des relations avec les parents … nous sommes dans un domaine où les phénomènes ont fait l’objet d’études et d’analyses, à la fois théoriques et procédurales, qui constituent en quelque sorte le « bréviaire » de tout enseignant.
Les savoir faire et les pratiques
C’est à la gestion de la classe qu’on reconnaîtra le bon professionnel. Il ne suffit pas d’avoir des connaissances sur le métier ; il faut surtout savoir les mettre en œuvre. Dans ce domaine les nombreuses expériences en matière de formation ont mis en lumière la primauté de ce que l’on appelle « l’analyse des pratiques » ; en d’autres termes, être capable d’observer, d’apprécier les façons de faire, de manière à pouvoir réguler ses activités.
Cette attitude n’est pas spontanée, et elle n’est pas naïve ; elle doit être instrumentée par des critères, aussi objectifs que possible, d’observation et de description. D’abord expérimentée dans le monde anglo-saxon, notamment au Québec, sous l’appellation "Utilisation du savoir faire d’expérience dans la formation des enseignants" elle constitue l’épine dorsale sur laquelle viendront se greffer tous les savoir-faire, dans la période de formation initiale, puis de la formation continue.
Dans un domaine qui ne relève ni des sciences ni des procédures exactes, aucune approche, aucune méthode n’est rigoureusement transposable, car les groupes d’élèves ne sont jamais identiques.
Connaissance de l’institution et du cadre d’exercice, connaissance des conditions dans lesquelles se déroulent les apprentissages (métier d’élève), éléments d’éthique professionnelle, principes qui interviennent dans l’acte d’enseigner (métier d’enseignant), capacité à analyser les (ses) pratiques et à valoriser l’expérience : la matière à formation ne manque pas ; ce n’est pas « sur le tas » qu’on peut l’apprendre ; c’est peut-être ce que peuvent maîtriser certains professeurs dits « chevronnés » ; mais on a besoin aujourd’hui de professeurs performants, dès le début de leur vie professionnelle.
Prochaine livraison : La formation des enseignants, quand, où, comment ?
jeudi 24 juillet 2008
La formation des enseignants - 2
On n’a jamais en réalité, quoique on ait pu en penser, considéré l’élève comme une « table rase » sur laquelle il faudrait inscrire les connaissances apportées par l’enseignant. Parmi les fondateurs de la réflexion sur l’art d’enseigner, Platon et Socrate, théoriciens de la « maïeutique » comme art de faire naître les idées et les connaissances, comme plus tard saint Augustin (dans son opuscule De magistro, Du maître) considèrent que l’activité du maître consiste à encadrer et gérer celle de l’élève. Les principes de l’ « éducation nouvelle » qui s’est développée en Europe dans la première moitié du XX° siècle, sont également fondés sur l’activité de l’élève dans les apprentissages. Ces principes ont été réaffirmés dans l’immédiat après-guerre avec les « Classes nouvelles » et les « Lycées pilotes » créés par Gustave Monod, alors Directeur des enseignements du second degré au ministère. Ils ont été à nouveau formulés dans la Loi d’orientation de 1989 qui place « l’élève au centre du système éducatif » (formulation fortement critiquée par Xavier Darcos, Le Monde du 18 juillet).
Il est vrai que dans la mouvance du courant philosophique du « positivisme », et aussi de lois dites fondamentales de Jules Ferry, est toujours resté sous-jacent un courant de pensée plus centré sur les connaissances que sur les élèves. Le modèle « transmission des connaissances » en est une application : le professeur a les connaissances (les examens et les concours en apportent la validation ; il les « transmet » aux élèves ; l’élève donc les reçoit, et il est « classé » en fonction de ce qu’il a reçu, et qui n’est en aucun cas identique à ce qu’on lui a transmis.
Ce modèle est resté très présent dans les pratiques enseignantes, délibérément ou implicitement, malgré les activités déployées par les Mouvements pédagogiques (Centres d’éducation aux méthodes d’éducation active : CEMEA ; Groupe français d’éducation nouvelle : GFEN ; Institut coopératif de l’école Moderne (ICEM) de Célestin Freinet) et les dispositions prises par de nombreux ministres, Jean Zay sous le Front Populaire, René Capitant dans le Gouvernement provisoire après la Libération ; plus près de nous Olivier Guichard, Christian Beullac, Alain Savary, Lionel Jospin ….,
La Loi d’orientation sur l’éducation de 1989 (de laquelle la Loi Fillon de 1995 reprend les éléments cardinaux) apporte pourtant des modification essentielles, dont on n’a, ni mesuré l’importance, ni tiré les enseignements, en matière de modèle macro-éducatif. La loi dispose en effet que « l’Etat se fixe l’objectif de 80% de réussite au niveau du baccalauréat » ; ce qui signifie que l’opérateur éducatif (l’Etat, le ministre, les enseignants) est responsable de ce résultat. Dans le système « Transmission des connaissances », la variable d’ajustement, c’est l’élève : ses résultats donnent une indication de sa valeur ; dans le système « Etat responsable du résultat », la variable d’ajustement c’est l’activité de l’opérateur.
Notons par parenthèse que lorsque Xavier Darcos tourne en dérision la formule « Elève au
centre du système éducatif », et part en guerre contre le « pédagogisme », soit il fait preuve d’une grande mauvaise foi, soit d’un déficit de compréhension, car c’est de ce principe que découlent les trois grandes idées qu’il revendique : la pédagogie différenciée (adaptée à chaque individualité) ; l’exigence de résultat pour les enseignants et les établissements ; l’aide personnalisée aux élèves.
L’élève, moins que jamais, n’est cette table rase sur laquelle on pourrait inscrire les connaissances que l’enseignant expose ; et moins que jamais le rôle de l’enseignant est de se cantonner à exposer des connaissances.
Les nouvelles technologies (mass media : communication de masse, ou self-media, communication interpersonnelle) ont considérablement modifié les références et l’expérience dont disposent les élèves ; ils ont des intérêts très divers ; ils peuvent « acquérir des connaissances » bien autrement qu’en suivant un cours. En revanche leurs motivations sont parfois très éloignées des programmes et des contenus enseignés.
Que fait l’élève à l’école ? Tout d’abord, il travaille. Et si on permet ce mot, quel est son « métier », comment le décliner ? Trois activités essentielles balisent son travail : il doit comprendre (établir des relations, avec son expérience et ses connaissances antérieures), il doit apprendre (exercer sa mémoire afin de constituer son capital de connaissances), il doit produire (afin de mettre en œuvre ses acquis et les soumettre à évaluation). Ces trois activités ont un dénominateur commun : l’intelligence.
Or il est bien reconnu aujourd’hui (notamment par les travaux des neuro biologistes sur le fonctionnement du cerveau) que l’intelligence, même si elle repose sur un substrat individuel (part du génétique), se construit et se développe par nos activités mentales (part de l’épigénétique). Construire et développer son intelligence, tel est donc l’objectif du métier de l’élève.
C’est dans ce contexte que s’exerce la professionnalité des enseignants ; et s’il est indispensable qu’un professeur de mathématiques connaisse bien sa discipline, celle-ci ne lui sera guère de quelque secours pour aider les élèves à comprendre, apprendre, à produire ; en revanche, même si on a pu prétendre que l’intelligence doit se décliner au pluriel, ce pluriel ne suit pas les découpages disciplinaires. Les activités liées au comprendre, à l’apprendre et au produire relèvent de valeurs communes et essentielles, même si leurs applications sont nécessairement différenciées.
Comment donc concevoir ce métier de professeur, dont la fonction première est d’aider l’élève à exercer le sien ? Et quels contenus pour la formation professionnelle ?
Prochaine livraison :
La formation des enseignants – 3 – Quels contenus pour la formation ?
dimanche 20 juillet 2008
La fomation profssionnelle des enseignants
Rien de tout cela n’est nouveau, on le retrouve dans le catalogue de bonnes intentions de quasiment tous les ministères depuis la réforme Berthouin qui en 1959 prolongea la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans. Mais toutes ces dispositions – et d’autres – rencontrent la question de la formation professionnelle des enseignants : question qui, avec la suppression des Ecoles normales pour le premier degré, des CPR pour le second degré, n’a guère été résolue par la création des IUFM, selon les recommandations du rapport Bancel, en 1989.
Nous proposons d’examiner successivement plusieurs points selon nous cardinaux relatifs à la formation professionnelle.
Tout d’abord le principe. Les enseignants sont-ils des professionnels ? Et quelle est leur professionnalité ?
On donne habituellement la qualification de professionnel à des personnes qui, exerçant un métier, assument une responsabilité individuelle – même si c’est dans le cadre d’une activité collective – quant aux résultats obtenus. Il est donc difficile, stricto sensu, de considérer que les enseignants sont vraiment des professionnels.
D’une part parce que leur marge d’initiative est très restreinte, tant en matière de programmes, que de méthodes, que d’organisation du travail. Lorsque l’on considère l’histoire de l’innovation en France, on se rend compte que celle-ci a toujours été l’objet de méfiance, voire de sanctions de la part des autorités, notamment des corps d’inspection ; on ne trouve guère, dans le cours de la V° République, que trois ministres ayant favorisé l’innovation : Guichard, avec son mot d’ordre : « Organiser le mouvement » ; Beullac avec de notables impulsions notamment dans le domaine des nouvelles technologies (« Qui a peur de la télé ? Pas moi » dit le ministre, en première page d’un numéro de Télérama) et la création expérimentale des premiers organismes de formation continue, qui deviendront les MAFPEN (Missions académiques pour la formation des personnels de l’Education nationale, sous Savary) ; Savary enfin avec la Rénovation des collèges et des lycées, même si trop timidement en raison de l’opposition explicite des syndicats, et trop brièvement, Chevènement ayant « sifflé la fin de la rénovation » dès 1984.
D’autre part, mais probablement ceci explique cela, au moins en partie, parce qu’ils ne se sentent pas réellement responsables du résultat, en termes de réussite des élèves. La fameuse « Courbe de Gauss » selon laquelle dans une classe il y a toujours un lot de très bons élèves, qui réussiraient même sans l’aide du professeur, un contingent central de bons élèves qui, en travaillant peuvent bien réussir, une part enfin de « mauvais élèves » qui n’ont aucune chance de réussir, travaillant ou non, sert régulièrement de référence à l'établissement des notations. Au point que, c’est bien connu, si un jeune enseignant, convaincu de la pertinence du principe de réussite pour tous, parvient à obtenir un ensemble de bons résultats pour tous ses élèves ou presque, et donc en écart par rapport à la courbe normale, il est aussitôt accusé de laxisme par ses collègues : un bon prof, c’est celui qui dans sa classe a un lot de mauvais élèves, cela prouve sa rigueur et ses exigences !
L’élève est en réalité, le plus souvent (car il existe des enseignants positivement différents du portrait général que nous sommes en train d’établir), la variable d’ajustement du système éducatif. Sinon comment expliquerait-on qu’un adolescent réussisse avec tel enseignant, échoue avec tel autre ; à un niveau donné et non au suivant, et inversement ; dans tel établissement et pas dans tel autre ? C’est ce que les sociologues appellent « l’effet établissement. » et « l’effet enseignant ». Il existe aussi, à l’évidence un « effet élève » : travailleur ou paresseux, distrait ou concentré, motivé ou inintéressé, favorisé ou non par son milieu social et culturel, vif ou lent … ; mais ce sont là des caractéristiques normales liées à la diversité des personnes, et dans un groupe – toujours, quelles que soient les dispositions institutionnelles, hétérogène – on trouvera ces écarts naturels.
Dès lors que l’on considère que ces caractéristiques peuvent constituer des paramètres déterminants pour le résultat, alors on est hors de l’épure du professionnalisme.
Dans ce domaine les pesanteurs historiques sont très importantes : les enseignants sont des personnes qui n’ont jamais quitté l’école, qui ont simplement changé de statut, et qui se réfèrent implicitement dans leur enseignement aux modèles mis en œuvre par ceux qui ont été leurs professeurs. Egalement l’institution a toujours valorisé l’élitisme, républicain ou non ; la « fabrication de l’excellence » , l’esprit de concours, sont encore considérés comme des valeurs essentielles de notre école.
Changer de paradigme dans un domaine aussi sensible, traversé par les représentations parfois contradictoires des parents, n’est pas chose aisée. C’est pourtant indispensable, surtout si, comme on semble le souhaiter, l’objectif de l’école doit être la réussite de tous les élèves.
Un autre aspect de la professionnalité des enseignants ne saurait en aucun cas être négligé, c'est celui qui relève de la connaissance de ce qu’ils enseignent ; c’est la plus incontestable et incontestée. Rappelons que, à l’origine, la licence était licence d’enseignement, c'est-à-dire permission d’enseigner ; aujourd’hui d’ailleurs, quelle que soit la durée des études, les enseignants font partie des fonctionnaires de catégorie A, c'est-à-dire niveau licence. Il est certain que le recrutement prévu par le ministre au niveau du master (bac + 5 au lieu de bac + 3) est de nature à modifier la grille de rémunération. Licence donc dans une discipline donnée (Italien, mathématiques, lettres, histoire et géographie etc.), dont la maîtrise est censée donner la capacité de l’enseigner.
Mais ce que nous venons de présenter plus haut, dans le domaine de la professionnalité, relève de l’aspect fonctionnel du métier : la « transmission des connaissances » (expression que nous aurons l’occasion de récuser) : "J’enseigne la grammaire aux enfants". Restons un instant sur cette expression : le verbe enseigner a ici deux compléments : un d’objet direct (la grammaire) ; un d’objet indirect (aux élèves) ; en latin on disait : "Doceo pueros grammaticam" (littéralement : J’enseigne les enfants la grammaire) : deux COD ; l'enseignement a un double objet "direct", et l'enseignant une double professionnalité ; c’est aussi ce que disaient dans les années d’après guerre les partisans de l’Ecole nouvelle : « Si tu veux enseigner le latin à John, tu dois connaître le latin, tu dois aussi connaître John ».
Or, c’est un truisme de le dire, cela ne va pas de soi.
Tous les corps professionnels pourtant connaissent cette double compétence, les médecins (à qui on ne demande pas seulement des compétences en matière de connaissance du corps humain et des pathologies), les magistrats (pour qui on organise, après leurs diplômes de droit, plusieurs années dans l’Ecole de la magistrature), les journalistes, les inspecteurs (y compris dans l’Education nationale) … mais aussi les titulaires de CAP, de brevets professionnels, de DUT … Dans tout métier on conjugue des savoirs et l’exercice du métier. L’un comme l’autre constituent les objets de la formation.
Donner aux enseignants une vraie professionnalité implique donc que pour eux soit organisée une formation professionnelle spécifique concernant ces deux dimensions.
Prochaine livraison : la spécificité de l’école ou la rencontre de deux métiers : métier de prof., métier d’élève.
mardi 8 juillet 2008
Cyber ; le monde de Cyber
Les années 60 en France furent celles de l’application de la cybernétique aux sociétés et aux êtres humains ; l’inspecteur général Couffignal est bien connu comme « père » de la pédagogie cybernétique, dont s’inspirèrent les machines à enseigner et l’enseignement programmé ; les thèses d’Aurel David (La cybernétique et l’humain, Gallimard) furent très largement diffusées. L’idée selon laquelle « de même qu’un marteau pilon frappe plus fort que l’homme, les machines à penser penseront plus fort que lui » paraissait à l’époque non seulement utopique mais provocatrice ; aujourd’hui on sait que les machines calculent plus vite et mieux que l’homme, que des prothèses électroniques permettent d’envisager des « transhumains », que la « cognitique » s’éloigne progressivement du domaine du biologique (sciences cognitives) pour s’intéresser à la façon dont les machines peuvent nous renseigner sur le fonctionnement du cerveau ; que l’accès aux données et la communication sont très fortement potentialisés par les calculateurs ; que selon certains chercheurs leur capacité (ce dont ils sont capables) pourra être multipliée par 1000 en remplaçant le silicium des composants par du carbone.
Qu’en est-il du Cyber d’aujourd’hui ; celui des cyber-cafés, où l’on peut tout en buvant, comme les personnages de Raymond Queneau dans Zazie dans le métro, sa grenadine ou son Fernet-Branca, se connecter sur le réseau internet ; celui du cyber-ciblage publicitaire, qui capture vos adresses, vos habitudes de consommateurs, vos désirs, pour vous soumettre à une pub bien ciblée ; celui de la cyber-surveillance, par quoi à la suite d’un marché avec Google, le gouvernement chinois – mais aussi d’autres - peut surveiller les blogs sur son territoire et ailleurs (donc celui-ci) ; celui de la cyber-éducation qui met l’Ecole à l’ère du numérique et menace régulièrement de « remplacer les profs » ; celui de la communication universelle qui vous autorise à entrer en contact virtuel avec chacun dans le monde ; celui du cyber-terrorisme par qui des groupes malveillants peuvent mettre en péril des Etats organisés ; celui … ; celui … ?
Cyber n’a semble-t-il plus aucun rapport avec celui d’hier ; aujourd’hui c’est le réseau, la toile, le WWW, et des hommes à chaque bout. Est-ce bien sûr ? Car, avec qui entrons-nous en contact lorsque nous composons un numéro de téléphone sur notre mobile, lorsque nous « chattons » avec un copain, lorsque nous recherchons le contenu d’un ouvrage sur le site d’un opérateur, lorsque nous envoyons une photo ou une vidéo, ou un texte à un ami … ?
C’est toujours avec des machines. Le propre de ces machines c’est qu’elles sont « transparentes » ; non seulement on ne les voit pas, mais même si on les voyait, on ne verrait pas comment elles fonctionnent ; tout se passe donc comme si elles n’existaient pas. Quand j’écrivais avec ma vieille machine Underwood, je voyais ce qui se passait entre le fait d’appuyer sur une touche et l’impression de la lettre correspondante sur la feuille blanche ; là, j’appuie sur une touche et je vois bien la lettre s’inscrire, mais de l’une à l’autre tout est « transparent », je n’y vois rien et je ne cherche d’ailleurs pas à comprendre.
Au-delà de la sphère individuelle, dans le contexte mondial de la globalisation, les banques, les entreprises, les armées, les services, tout aujourd’hui fonctionne avec les ordinateurs et les réseaux d’interconnexion ; c’est ce que Abraham Moles, avec son génie de l’anticipation, appelait la « noosphère ».
Ces machines ont de la mémoire, elles appartiennent à des groupes mondiaux puissants et elles sont vulnérables. Prenons le cas du GPS (guidage par satellite) ; actuellement - en attendant la mise en service du produit européen Galileo – il est dépendant du Pentagone ; que pour des raisons de sécurité, les Américains décident d’en limiter l’accès, et nos terminaux deviennent aveugles. GPS peut aussi mettre en œuvre sa mémoire et donc repérer et conserver la trace de tous nos déplacements. Il peut théoriquement être brouillé, comme tous les systèmes fonctionnant avec des ondes, (même si des procédures de sécurité sophistiquées sont élaborées). Les petits génies informatiques qui réussissent à pénétrer dans les réseaux de données, ou à les manipuler (voir affaire Clearstrem), ou à dissimuler leurs interventions ( affaire Société Générale) sont légion et nous montrent quelle est la fragilité des systèmes.
C’est d’ailleurs cette fragilité qui renferme le plus de périls : imaginons (en réalité, constatons car nous y sommes déjà) qu’un pays, un groupe, ait la capacité de détruire, physiquement ou virtuellement, les satellites de communication par quoi tout passe, et le monde retourne à l’âge de pierre ; il n’y a pas de plan B.
Alors ? Revenir aux pigeons voyageurs et à la plume d’oie ? Rappelons-nous que l’âge d’or n’a jamais existé mais qu’il est toujours derrière. Comme pour l’économie de marché, le libéralisme, la globalisation, tout retour est non seulement impossible mais impensable : dès qu’un système atteint cette étendue, qu’il concerne des milliards de personnes dispersées et différentes, aux intérêts parfois opposés, sauf à rêver au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou à l’Utopie de Thomas More, où tout est réglementé, planifié, organisé, alors nous sommes bien contraints de pactiser avec le désordre, on le fait bien avec le diable ; de subir – en croyant d’ailleurs la contrôler – la « main invisible « de Cyber, comme on subit déjà celle du marché.
Catastrophisme ? Non ! Les métiers à tisser n’ont pas ruiné les tisserands ; les machines à vapeur n’ont pas supprimé les ouvriers ; l’avion n’a pas supprimé le train ; les machines n’ont pas réduit les philosophes au silence ; probablement le livre virtuel ne supprimera-t-il pas le journal et le bouquin ; ni le GPS la carte IGN.
En revanche, ne soyons pas aveugles ; pour transparent qu’il soit, le monde de Cyber n’est pas inexistant ; il nous entoure plus que nous ne l’utilisons. Cependant, la logique de l’usage, qui est celle de notre siècle – par quoi les usages, et donc les usagers, définissent les fonctions – nous donne un pouvoir absolu sur cette réalité virtuelle, où le réel s’estompe : comme les consommateurs sont les artisans et les maîtres du marché, les usagers de Cyber sont réellement ses vrais maîtres ; encore faut-il qu’ils le sachent.